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considéré comme coupable de négligence. Les circonstances qui constituent la culpabilité ne se prêtent pas à une formule légale absolue ; il y a une question de fait, qui varie avec chaque affaire… Le jury doit décider si, dans l’espèce, l’accusé a agi avec une habileté et un soin suffisans. » Le magistrat, après avoir rappelé que le défunt, au dire de l’expertise médico-légale, était, au moment où le remède lui avait été administré, atteint d’une dégénérescence graisseuse du cœur, ajoutait : « Y a-t-il eu ignorance de la part de l’accusé à ne pas découvrir cet état ? On reconnaît que la maladie en question peut échapper aux médecins les plus expérimentés. Or, il serait monstrueux de déclarer un homme coupable de défaut d’habileté pour ne pas avoir découvert un point que les plus habiles ne découvrent pas toujours. Il a été décidé qu’un homme n’est pas tenu d’apporter, dans l’accomplissement de sa tâche, une habileté extraordinaire, mais seulement un degré d’habileté normal. » Le médecin fut acquitté[1].

En Allemagne, la responsabilité médicale était formellement reconnue par la constitution Caroline, de Charles-Quint, qui admettait dès cette époque la nécessité d’une expertise sur les faits. Les fautes des médecins sont actuellement soumises à un tribunal de savans et de médecins. Les lois allemandes sont très strictes, et, chose bizarre, si l’on n’a pas le droit d’exercer la médecine, on est moins sévèrement puni que si l’on est docteur. De plus, dans chaque circonscription administrative, il y a en Allemagne un médecin public, un Kreis-physicus ; si l’un de ces médecins commet une faute, on peut le faire descendre d’un échelon dans la hiérarchie médicale. Ainsi, le docteur Kuehner cite l’exemple d’un chirurgien qui, pour consolider une fracture de la rotule, tira un coup de pistolet sur le genou de son malade ; il fut poursuivi et descendu d’un grade, quoique son malade se fût trouvé bien de cette singulière médication[2].

Non seulement la jurisprudence allemande s’occupe de savoir si le médecin a commis une faute lourde, mais elle recherche si le traitement appliqué était bon et s’il a été administré suivant les règles[3], En 1882, à Heidelberg, un médecin fut accusé de la mort d’un homme, pour n’avoir pas employé la méthode antiseptique.

  1. Denis Weill, le Droil, 51 juin 1886.
  2. Kuchner, Die Kunslfehler der Aerzte vor dem Forum der Juristen, Frankfurt am Mein. 1886.
  3. L. Reuss, De la responsabilité médicale (Annales d’Hygiène, 3e série, 1887, t. XVII, p. 121 et 403.