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avoir des effets salutaires ou nuisibles ; si un autre n’aurait pas été préférable ; si une telle opération était ou non indispensable ; s’il y a eu imprudence ou non à la tenter, adresse ou maladresse à l’exécuter ; si, avec tel ou tel instrument, d’après tel ou tel autre procédé, elle n’aurait pas mieux réussi. — Ce sont là des questions scientifiques à débattre entre docteurs, et qui ne peuvent pas constituer des cas de responsabilité civile et tomber sous l’examen des tribunaux. Mais, du moment que les faits reprochés aux médecins sortent de la classe de ceux qui, par leur nature, sont exclusivement réservés aux doutes et aux discussions de la science ; du moment qu’ils se compliquent de négligence, de légèreté, ou d’ignorance de choses qu’on doit nécessairement savoir ; la responsabilité de droit commun est encourue et la compétence de la justice est ouverte.

« Qu’un médecin ordonnance une potion ; qu’il proportionne les élémens dont il la compose d’une manière plus ou moins salutaire, plus ou moins en harmonie avec le mal et avec le tempérament du malade ; jusque-là, il peut n’y avoir qu’un fait soumis aux discussions scientifiques des docteurs. Mais qu’il prescrive une dose telle qu’elle a dû être infailliblement un poison, — par exemple, une once d’émétique au lieu de deux ou trois grains ; — toute la responsabilité de ce fait retombe sur lui, sans qu’il soit nécessaire, à l’égard de la responsabilité purement civile, de rechercher, s’il y a, de sa part, intention coupable : il suffit qu’il y ait eu négligence, légèreté ou méprise grossière, et par là même inexcusable.

« Assurément il serait injuste et absurde de prétendre qu’un médecin ou un chirurgien répond indéfiniment des résultats qu’on voudrait attribuer à l’ignorance ou à l’impéritie. Mais, réciproquement, il serait injuste et dangereux pour la société de proclamer comme un principe absolu qu’en aucun cas ils ne sont responsables dans l’exercice de leur art. Un jugement qui se serait décidé par l’une ou l’autre de ces deux raisons ne pourrait échapper à la cassation. »

Depuis quelques années, les membres des tribunaux, émus par les faits qu’on leur a racontés, qu’on a grossis devant eux, par ceux qui ont provoqué des articles de presse retentissans, ont tendance à s’écarter de cette ligne de conduite, à déterminer les conditions dans lesquelles auraient du se faire soit un diagnostic, soit une intervention chirurgicale. ils s’engagent dans une voie périlleuse.