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côté du tableau, comme les ambitieux, dans la vie, à côté du bonheur, — sans le voir ! Et ils s’en vont gravement, les uns et les autres, leur boîte à couleurs ou leur hotte à illusions au dos, à la recherche de merveilles lointaines qui ne vaudront point ce qui les attendait, ce qu’ils n’ont pas su voir, à la porte de leur maison...

S’agit-il de figures ? Il en va de même. S’il est vrai de dire qu’ « un problème bien posé est à moitié résolu », il l’est plus encore d’affirmer qu’une figure bien posée est à demi dessinée. Le reste est affaire de sûreté de main et de sûreté d’œil. Mais la composition est affaire de sûreté d’âme et d’initiative originale. Or, le photographe compose. Il dispose, sinon l’image, du moins la réalité. Il ordonne, non les lignes gravées sur ses planches, mais les lignes vivantes devant ses yeux. Pour faire la Source, il ne fallait pas seulement dessiner comme Ingres ; il fallait composer comme Ingres. Le modèle qu’il a employé n’a point pris, tout seul, cette attitude simple, fine et noble, ou, s’il l’a prise, ce n’a été que par un hasard qu’il a fallu préparer et saisir. Le photographe ne fait-il pas la même chose ?

La similitude entre le photographe et l’artiste se voit jusque dans les conseils qu’ils donnent à leurs modèles. On connaît l’horreur habituelle des portraitistes pour les étoffes sans cassures, sans œils de plis. La première photographe artiste d’Angleterre, Mme Cameron, raconte, dans ses Mémoires, une anecdote qui montre que cette horreur était la même chez elle. Les succès de ses portraits de femmes lui valurent un jour la lettre suivante :


« Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins informe Mrs Cameron qu’elle désire poser pour son portrait. Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins est une personne qui possède équipage et, par conséquent, elle peut affirmer à Mrs Cameron qu’elle arrivera dans une toilette exempte de tout chiffonnage.

« Si Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins était satisfaite de son portrait, Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins a une amie qui possède également un équipage et désirerait aussi avoir son portrait. »

Je répondis à Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins que, Mrs Cameron n’étant pas un photographe de profession, regrettait beaucoup de ne pouvoir faire son portrait, mais que, si Mrs Cameron avait pu le faire, elle aurait beaucoup préféré voir cette toilette chiffonnée[1].


On se tromperait si l’on croyait que la composition photographique se borne au portrait ou à une petite scène de genre moderne,

  1. Mme Cameron, Annals of my glass-house.