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sur la grève ou dans les bois, aucun costume ne s’harmonise mieux avec les lignes de la nature. Le cadre reconnaît la figure et lui sourit. Sous l’olivier tarde crescens, au pays du ver assiduum, on ne s’étonne plus de voir revivre les jeux et les fêtes sculptés sur les bas-reliefs. Les potiers des environs font encore des lécythes et des cratères. L’eau dans les vasques chante les mêmes airs qu’autrefois. Puisqu’il y a encore des pins, voici des thyrses ; puisqu’il y a encore des tortues, voici des lyres ; et puisqu’il y a encore des roseaux, voici des syringes. La Vision antique va passer…

Le subtil photographe a choisi le lieu, l’heure, les visages et les costumes : il sait les poses qu’il veut reproduire, le groupe qu’il veut former. Il les a dits à ses modèles et, dans sa tête, le tableau est fait. Il copiera la réalité, quand la réalité lui donnera sa vision, pas avant. Il a calculé la hauteur des têtes sur la ligne d’horizon, la longueur des ombres sur l’herbe, l’angle des rayons du soleil déclinant, le passage de la lumière sur le coude et l’épaule, et les plis que creusera le vent, lorsqu’il s’élèvera, fera flotter le voile et toute la tunique, selon le rythme qu’on observe dans la Victoire de Samothrace, du Louvre. On va, on vient le long des rochers. Vingt fois l’attitude a été prise, puis quittée. Non, ce n’était pas Ariane ! On va abandonner la place, quand, tout d’un coup, sans le vouloir, dans un geste spontané, le modèle a réalisé l’idéal. Durant une seconde, Ariane a été visible, « aux rochers contant ses infortunes ! » Rapide comme l’éclair, le photographe a enregistré sur la plaque sensible ce qu’il a voulu, cherché, préparé depuis des mois, parfois des années… Dira-t-on qu’il n’y a pas eu composition, intervention de l’artiste ?

— Cette intervention ne va guère loin, objectent quelques critiques. Elle tient toute dans le choix du sujet pour le paysage et une espèce de groupement pour les figures, analogue à la mise en scène d’un tableau vivant. — Et quand ce ne serait que cela, serait-ce peu de chose ? Ce dédain est plaisant dans la bouche des critiques d’art qui, d’ordinaire, ne jugent tableaux et statues qu’au point de vue du choix du sujet et de la disposition des personnages, et jamais au point de vue de la facture ! Que l’on compte, dans tel compte rendu de salon qu’on voudra, les pages consacrées à l’anatomie, à la myologie, à la perspective, à la concordance des passages de lumière, à la nature des mélanges pigmentaires, au rôle des dessous, — et qu’on les compare au