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Je vous évoque, ô vous, amantes ignorées,
Dont la chair se consume ainsi qu’un vain flambeau,
Et qui sur vos beaux corps pleurez, désespérées,
Et faites pour l’amour, et d’amour dévorées.
Vous coucherez, un soir, vierges dans le tombeau !

Et mon âme pensive, à l’angle de la place.
Fixe toujours là-bas la vitre où l’ombre passe.

Le rideau frêle au vent frissonne...
La lampe meurt... Une heure sonne.
Personne, personne, personne.



IDEAL



Hors la ville de fer et de pierre massive,
A l’aurore, le chœur des beaux adolescens
S’en est allé, pieds nus, dans l’herbe humide et vive,
Le cœur pur, la chair vierge et les yeux innocens.

Toute une aube en frissons se lève dans leurs âmes.
Ils vont rêvant de chars dorés, d’arcs triomphaux.
De chevaux emportant leur gloire dans des flammes,
Et d’empires conquis sous des soleils nouveaux !

Leur pensée est pareille au feuillage du saule
A toute heure agité d’un murmure incertain ;
Et leur main fièrement rejette sur l’épaule
Leur beau manteau qui claque aux souffles du matin.

En eux couve le feu qui détruit et qui crée ;
Et, croyant aux clairons qui renversaient les tours,
Ils vont remplir l’amphore à la source sacrée
D’où sort, large et profond, le fleuve ancien des jours.

Ils ont l’amour du juste et le mépris des lâches,
Et veulent que ton règne arrive enfin, Seigneur !
Et déjà leur sang brûle, en lavant toutes taches.
De jaillir, rouge, aux pieds sacrés de la Douleur !