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avoir trop modéré dans les drames l’expression de ses sentimens personnels et s’être effacé trop discrètement derrière les personnages. Stendhal lui préférait Zacharias Werner, l’auteur de Luther et de cet intolérable 24 Février qui a inspiré Trente ans ou la vie d’un joueur. Il savait gré à Werner de sa vie tourmentée et de ses extravagances : « Grand poète, disait-il, non pas uniquement grand poète par de beaux vers, mais grand poète parce que sa conduite folle la montré tel à tous les hommes. » Il n’est pas certain que tous les contemporains de Stendhal aient su gré à Werner d’avoir été « bon jésuite », c’est-à-dire toujours intolérant, passionné, injuste envers ses adversaires. Mais il n’y a pas de doute qu’ils n’aient goûté avec Stendhal le lyrisme effréné de ses drames, dans lesquels l’intrigue et les caractères ne sont qu’un voile transparent jeté sur la personnalité violente du poète.

« Le mérite des tragédies allemandes, remarque Heine, consiste plus dans la poésie que dans l’action. » Et c’est la « poésie » aussi, c’est-à-dire le lyrisme, que nos romantiques y ont cherché. Ils n’ont pas toujours su la trouver dans Goethe : son théâtre est trop calme, trop peu dramatique, trop plein de pensée. Ils l’ont trouvée, au contraire, et sans peine, dans la plupart des drames de Schiller et ils n’ont eu, pour formuler leurs propres théories, qu’à mettre en préceptes ce qu’il avait mis en drames. Ou même, ils n’ont eu qu’à relire les chapitres où Mme de Staël a commenté avec un singulier bonheur les plus belles scènes de Guillaume Tell ou de Don Carlos, pour avoir en main toute leur poétique. La préface de Cromwell n’est qu’une reprise, assez artificielle et manquée par endroits, des idées exprimées dans la seconde partie du livre De l’Allemagne, — c’est-à-dire de la poétique même du théâtre allemand.


III

On n’écrira donc pas l’histoire du drame romantique en France sans prononcer les noms de Schiller, de Gœthe ou même de Lessing. Mais écrira-t-on celle de la poésie romantique sans prononcer ceux de Tieck, d’Uhland ou de Rückert ?

Quoi qu’on en ait dit en Allemagne, il ne faut pas hésiter à répondre par l’affirmative. Le lyrisme de nos romantiques ne doit à peu près rien à celui des romantiques allemands. Je n’oublie pas ici les imitations de détail, assez nombreuses, qu’on