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y a élevé une digue en 1711[1]. Mais qu’est cette petite retenue à côté des débits de grande crue que nous avons vus ? On a fait encore deux réservoirs à Rochetaillée, à Pas-de-Riot, sur le Furens ; mais deux ou trois ne suffisent pas, il en faudrait une soixantaine ! Pour augmenter le débit du fleuve de 60 mètres cubes en basses eaux, on devrait emmagasiner 520 000 000 de mètres cubes derrière 68 barrages. D’autre part, il eût fallu retenir 3 à 400 000 000 de mètres cubes pour éviter les désastres de 1856, Sans doute, la pierre coûte peu dans le Massif central, la main-d’œuvre aussi. Mais trouver une soixantaine de gorges à noyer est malaisé dans un pays peuplé même médiocrement. Et comment concilier les intérêts de la défense et ceux de la navigation ? Cette dernière veut des réservoirs combles : elle y voit des trop-pleins ; mais la première exige des réservoirs vides, toujours béans à l’approche de la crue. Sans compter que la pisciculture officielle s’en sert comme d’étangs, et que l’hygiène publique et l’intérêt même de l’édifice réclameraient contre l’assèchement total. Un réservoir ne reçoit donc qu’une petite partie des crues, comme les déversoirs à seuil bas dont nous avons parlé. On devrait les multiplier pour obtenir une retenue de 400 000 000 de mètres cubes. Ajoutons qu’il les faudrait presque tous dans la seule vallée de la Loire : les crues de l’Allier devancent celles du fleuve ; en retardant celles de l’affluent, on les ferait coïncider.

On voit combien cette question est complexe. Désirer la fin des inondations désastreuses est fort louable, mais on aurait moins de mal à empêcher les désastres que les inondations. De toutes les solutions, la meilleure est de laisser le fleuve déborder. Aux villes de s’entourer d’un anneau de digues insubmersibles comme a déjà fait Tours, ou de s’exhausser complètement comme Szegedin, après que la Tisza l’eut détruite en 1876. Quant aux cultures, les paysans devraient les choisir telles que les semailles ne se fissent qu’après les grandes eaux d’automne, dans le limon nouveau. Le reboisement et le regazonnement des montagnes, utiles pour préserver les berges de l’érosion, seraient encore plus nécessaires pour atténuer les crues. C’est peut-être de tous les préservatifs

  1. Dans la crue de 1866, la retenue aurait été de 113 000 000 de mètres cubes et le maximum serait arrivé avec deux heures de retard à Roanne et une diminution de hauteur de 0m,60. Le débit était de 3 390 mètres cubes en amont du réservoir, de 2 520 en aval. Mais il faut faire la part du massif rocheux lui-même, qui retarde l’écoulement des eaux : peut-être 93 000 000 de mètres cubes.