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Entre les hauts-fonds où le sable apparaît, et où s’engravent les barques, se trouvent des creux pleins d’eau, les mouilles. Le lit d’un fleuve dessine d’amont en aval non pas une gracieuse courbe descendante, mais une ligne brisée, un zigzag perpétuel. Les mouilles sont comme des bassins dont les hauts-fonds forment les bords. Le problème est de passer d’un bassin à l’autre.

Les mouilles ne se creusent pas au hasard ; leur place, leur longueur, leur espacement, dépendent de conditions connues. Un fleuve n’est jamais rectiligne ; son cours serpente dans les terres, et l’eau lancée depuis les sources se rejette d’une rive à l’autre alternativement. Elle ne coule pas majestueusement entre deux berges parallèles sur un fond plat, comme un prince défile entre deux haies de soldats. Non, elle va en diagonale d’un côté à l’autre : la pente inégale du fond ou des berges, le dessin de la rive, du cours lui-même, les vitesses différentes de l’eau à la surface et au fond, au milieu et sur les côtés, la font sans cesse dévier de la ligne droite. La voilà qui se heurte contre la rive droite, elle la serre, la ronge, la fait ébouler, et en emporte à l’instant les débris. Le long de cette rive creusée à pic, concave, où se concentre le courant, la profondeur est grande, mais, en face, la rive convexe forme un talus à pente douce qui se prolonge sous l’eau et s’accroît sans cesse des débris arrachés à la mouille précédente. Ainsi va le fleuve, entre une série de plages convexes et de mouilles à berges raides et concaves. La plus grande profondeur n’est pas au sommet de la courbe concave, mais la suit de près ; de même pour la moindre profondeur, après le sommet de la convexité.

Flânez sur les plages de sable à mer descendante, près de l’eau, le sable fin fait place au petit gravier ; d’innombrables filets d’eau en sourdent, s’allongent, se rejoignent, grossissent ; bientôt ce sont de vraies rigoles qui se jettent dans la mer. Les enfans jouent là, détournent, créent, joignent, séparent les rivières. Approchez : ces expériences vous rendront clair ce qui précède. A peine lancée, la nouvelle rivière crée ses sinuosités, ses plages, ses mouilles. Changez ces sinuosités, allongez, raccourcissez-les ; tout se modifie à la fois ; la profondeur et les dimensions des mouilles (et par conséquent des hauts-fonds) sont en raison directe de la courbure des sinuosités. — » Mais alors on pourrait, si le fond d’un fleuve est mobile, le corriger en réglant ses méandres ? » — Assurément ; et c’est un ingénieur français, M. Fargue, qui a découvert cette loi, en a étudié les conséquences pratiques, si