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frontières ; ils peuvent, sans dommage et sans manquer à ces mêmes devoirs qui me sont personnellement imposés, abandonner l’Espagne et son roi à la révolution et à l’influence exclusive de l’Angleterre. Quant à moi, je ne puis rompre mes relations avec ce pays et retirer mon ambassadeur d’auprès de mon neveu, que le jour où cent mille Français passeront la frontière pour venir en aide à l’un et à l’autre. »

Ainsi fut décidée la grave question qui divisait le Conseil des ministres depuis le retour de M. de Montmorency, et arrêtée définitivement la ligne de conduite de la France à l’égard de l’Espagne, sujet qui occupait tous les esprits depuis l’ouverture du Congrès de Vérone. M. de Montmorency donna sa démission le jour même. On s’étonna d’une retraite suivant de si près l’ordonnance du 1er de ce mois, où le Roi lui avait accordé le titre de duc, en récompense de ses services au Congrès. En réalité, en revenant de Vérone, M. de Montmorency avait remporté un véritable succès : nous étions assurés de l’appui moral que nous désirions de la part des trois grandes puissances pour contenir le mauvais vouloir de la quatrième ; le projet de note, le rappel de M. de La Garde étaient réservés comme entièrement facultatifs pour le gouvernement français ; la situation était donc satisfaisante. Il était politique, à la clôture du Congrès, à l’arrivée de M. de Montmorency, de lui donner un témoignage éclatant de cette satisfaction ; cette mesure pleine de justice eut l’assentiment unanime des membres du Conseil et fut adoptée par le Roi. Il était nécessaire d’expliquer cette faveur, si contradictoire en apparence avec la sortie du ministère de M. de Montmorency, moins d’un mois après qu’il avait été ainsi récompensé. Il n’y avait nulle inconséquence entre ces deux actes. L’un avait trait au Congrès de Vérone ; l’autre fut le résultat d’une scission dans le Conseil des ministres sur un point dont la décision avait été réservée. M. de Montmorency, ayant manifesté une opinion opposée à celle du Roi, y tint assez inébranlablement pour préférer quitter le ministère, plutôt que de faire à Sa Majesté le sacrifice de cette manière de voir…

Après le Conseil du 25, M. de Montmorency alla porter sa démission au Roi, qui l’accepta et me manda le soir même pour conférer du choix de son successeur. A la suite de cette conversation, il m’autorisa à offrir à M. de Chateaubriand le portefeuille des Affaires étrangères, m’avertissant de ne le faire qu’en mon nom et en réservant l’approbation royale. Sa Majesté me dit être certaine qu’il avait donné à M. de Montmorency sa parole de ne pas accepter ; pour ne rien commettre, il me chargea de nouveau de ce portefeuille par intérim. Le choix de M. de Chateaubriand nous était imposé par l’obligation de conserver l’appui éventuel des puissances continentales, devant une intervention possible de l’Angleterre contre nous durant la campagne d’Espagne ; la retraite de M. de Montmorency leur eût offert, pour renoncer au traité qu’il avait conclu, un prétexte que leur était son remplacement par M. de Chateaubriand, comme lui représentant du Roi à Vérone… Le 28 décembre, une ordonnance royale nommait le vicomte de Chateaubriand ministre des Affaires étrangères.

Tel est le récit que M. de Villèle nous donne de cet incident dans le troisième volume de ses Mémoires. Quant à Chateaubriand,