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et des contradictions contraires, l’anxiété a augmenté. C’est à ce moment que M. Scheurer-Kestner a parlé : comment sa voix n’aurait-elle pas eu un immense retentissement ? Qu’il se trompât ou qu’il eût raison, qu’il fût le jouet d’une illusion ou qu’il eût enfin découvert la vérité, l’affaire allait être reprise. Il fallait, cette fois, que la lumière fût faite et qu’elle fût complète. Le cauchemar allait être dissipé.

On l’a cru, et nous voulons toujours croire que cette espérance ne sera pas trompée. Il faut avouer pourtant qu’elle est encore assez loin d’être réalisée. Parmi les incidens dramatiques qui se sont succédé en quelques jours, et dont la série ne paraît pas encore épuisée, il n’y en a pas eu de plus émouvant que celui de la lettre adressée au ministre de la guerre par le frère de Dreyfus. Un autre nom était prononcé pour la première fois ; une accusation formelle et directe était lancée contre un nouvel officier. C’est lui, disait-on, c’est le comte Walsin-Esterhazy qui est l’auteur du bordereau dont on a tant parlé, et dont l’écriture ressemblait à celle de Dreyfus. Soit ; elle ressemblait à celle de Dreyfus ; la majorité des experts a même déclaré qu’elle était la sienne ; mais elle ressemblait encore plus à celle du comte Walsin-Esterthazy, et lui-même l’a reconnu. Gardons-nous d’insister. Les erreurs judiciaires produites par des analogies d’écriture sont nombreuses, et il en est même de célèbres. Toutefois, si la ressemblance qui existe entre l’écriture du bordereau et celle du comte Walsin-Esterhazy n’est pas contre lui une preuve convaincante, elle ne doit pas l’être non plus contre Dreyfus ? Y en a-t-il eu d’autres contre Dreyfus ? Y en a-t-il d’autres contre le comte Walsin-Esterhazy ? Aussitôt que le nom de ce dernier a été livré à la publicité, la publicité s’est exercée sur lui. Sa vie, connue seulement jusqu’ici de quelques personnes, a été mise tout entière au grand jour. Le reportage l’a passée à son crible. Il n’y a désormais aucun inconvénient à dire qu’elle a été peu ordonnée, et ne saurait être proposée en exemple à personne ; mais, certes, ce n’est pas une raison pour que le comte Walsin-Esterhazy soit coupable du forfait dont on l’accuse. Une vie irrégulière ne conduit pas nécessairement à la trahison. On a publié une correspondance qu’aurait écrite le comte Walsin-Esterhazy, et qui est faite pour inspirer l’indignation et l’horreur, si elle est authentique ; mais l’est-elle ? S’il est vrai que Dreyfus ait été jugé et condamné un peu vite, c’est une raison nouvelle pour apporter plus de mesure et de prudence dans l’affaire qui commence. M. Walsin-Esterhazy, après la première émotion qui l’a porté à faire aux journaux quelques confidences inutiles, a pris le parti de se taire, et on ne peut que l’en approuver. Le gouvernement avait nommé