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Lemaire. Le 28, pour que Barbaczy n’en ignore, il lui mande de ne se point engager dans des « écritures diplomatiques », de déclarer que le retour des Français aura lieu « sûrement et sans obstacles » ; « toutefois, en ce qui concerne leur correspondance, il ne donnera nullement une assurance tranquillisante ; il avisera surtout à s’emparer des paquets et à les envoyer, comme il l’a déjà fait, au quartier général. » Il eût été préférable qu’à ces instructions artificieuses, l’archiduc substituât tout crûment l’ordre d’arrêter les Français et de les mettre en prison : ils auraient eu au moins le sort qu’avaient éprouvé, en 1793, Maret et Sémonville. Du reste, cette lettre qui, dans une certaine mesure, corrigeait celle du 25, et laissait un peu moins de marge à la « dextérité » de Barbaczy n’arriva point en temps utile. Quand elle parvint au chef des Széklers, le coup était fait.

Les ministres français, fort anxieux, et à trop juste titre, avaient pris prétexte de l’enlèvement de leur courrier, violation patente de la neutralité, pour déclarer les négociations suspendues et annoncer qu’ils partiraient pour Strasbourg, le 28. Ce jour-là, leurs voitures étant prêtes, ils demandèrent à Albini de leur garantir qu’ils pourraient voyager sans inconvénient. Albini en référa à Barbaczy. Ce hussard fit attendre sa réponse toute la journée, et envoya, le soir, pour toute sauvegarde, l’injonction de quitter la ville dans les vingt-quatre heures.

Dans le même temps, les Széklers, sous le commandement du chef d’escadron Burkhard, occupèrent les portes avec la consigne de ne laisser entrer ni sortir personne. D’autres hussards allèrent s’embusquer à l’extrémité du faubourg Saint-Georges. Les Français réclamèrent le passage et la protection d’une escorte ; Burkhard répondit que la consigne était suspendue, mais pour eux seuls ; l’escorte fut refusée[1].

Il était dix heures du soir. La nuit était sombre et pluvieuse. Les Français emmenaient leurs familles, le personnel de leur ambassade, leurs archives, le tout dans huit voitures, qui

  1. Un député rapporte : « Celui-ci (l’officier commandant) dit que c’était un malentendu, qu’effectivement la consigne portait que personne ne sortirait de la ville pendant la nuit ; mais que les ministres français étaient exceptés… M. d’Edelsheim (ministre de Bade) offrit une escorte de hussards de Baden, mais l’officier dit qu’il ne pouvait permettre qu’une troupe étrangère parût armée dans son enceinte (celle de la ville). » — Ces détails ont été recueillis de la bouche d’un député, témoin oculaire. Les lettres auxquelles je les emprunte m’ont été gracieusement communiquées par M. le comte Antoine d’Hunolstein et proviennent de papiers de famille.