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le trouve toujours quand on veut. Des colonnes à la baïonnette, à l’arme blanche : l’attaque, le fer dans le ventre de l’ennemi, voilà mes reconnaissances ! Du coup d’œil, de la rapidité, de la vigueur, voilà mes manœuvres ! » Et quels soldats ! idolâtres de leur chef, entraînés plutôt que commandés par lui ; aussi audacieux à grimper à l’assaut, qu’imperturbables à se faire tuer sur leurs pièces ; gais au camp et dans la marche ; simples, pieux, emmenant leurs popes, emportant leurs icônes, pénétrés de leur foi comme les républicains sont fiers de leurs principes ; confians en leurs images comme les républicains en leurs drapeaux symboliques ; ne doutant de rien, ne s’étonnant de rien. Ce sont comme des Vendéens bien armés, bien conduits, rompus aux manœuvres : « Vous connaissez le Russe, écrivait Rostopchine. Il faut le mener, il ira partout. » Ils vont en Italie, en Suisse, de la plaine sans fin aux montagnes sans issue, comme ils iront en Allemagne en 1805, en 1807, et viendront jusqu’à Paris, en 1814.

Souvorof, la seule grande âme militaire de la coalition, à côté de Nelson, arrive pour sauver les rois, rétablir le Pape, rendre à leurs maîtres des peuples turbulens, comme autrefois Pépin, à la tête de ses Francs barbares, descendait en Italie. La croix grecque à la main, il ramène l’orthodoxie à son point de départ, Ravenne ; relie la chaîne des temps, et, protégeant Rome, la fait vassale de Byzance. Il est le chef de la croisade d’un autre moyen âge contre ceux qu’on appelle, par haine et dérision, en Europe, les autres musulmans. Comparaison consacrée, depuis Burke et Mallet du Pan, comparaison fausse, trop flatteuse à l’Islam, injurieuse aux Français et à leur révolution. Les coalisés n’ont jamais eu de la croisade que le signe extérieur, la croix. La vraie croisade, avec son peuple de soldats obscurs, venus des campagnes, pleins d’abnégation et d’enthousiasme, c’est l’armée française qui l’a ressuscitée. Ces soldats de France, qui promènent sur toutes les routes d’Europe leurs pieds nus, leurs uniformes en lambeaux, font des riches et demeurent indigens ; partis de leur village jeunes et misérables, ils y reviendront — ceux qui reviendront — misérables et vieux. Fusillés par les armées des rois parce qu’ils apportent la liberté aux peuples, assassinés par les populations en révolte parce qu’ils ne donnent pas la liberté promise, ils sont pourtant, malgré la fiscalité du Directoire, les seuls, en cette guerre, qui travaillent pour l’humanité, pour l’avenir ; et si, au-dessus de ces temps souillés et sanglans, s’élève une image pure de la France, on