Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un mémoire au roi, le 15 janvier 1799, « a certainement pour intention de réunir la Hollande à la France. » Ils veulent, on n’en peut plus douter, « s’emparer des côtes de la mer du Nord jusqu’à l’embouchure de l’Elbe. Leur projet favori était, et il ne faut pas douter qu’il ne soit encore, d’isoler l’Angleterre en la séparant du continent et en lui fermant pour cet effet les portes de la mer du Nord… L’exécution de ce projet est aussi aisée en elle-même qu’effrayante à l’égard de ses suites… Tant que la France reste en possession des pays situés entre la Moselle et la Meuse, d’un côté, et le Rhin et l’Ems, de l’autre, la sûreté de la Prusse sera menacée, et elle doit en être ébranlée, jusque dans ses fondemens, si avec cela la France reste une puissance révolutionnaire. » L’Allemagne a perdu ses boulevards naturels. « Peut-on les laisser au pouvoir de l’ennemi de l’ordre social ? et s’il paraît hors de doute qu’il faut enfin en venir à les lui arracher, doit-on attendre le moment où il sera parvenu à s’y fortifier au point qu’il deviendra impossible peut-être de l’en expulser ? »

Et, bientôt, à mesure que le succès de la coalition se déclare, les Prussiens retournent le jeu, dessinant déjà leur politique de 1814 : — « Vous êtes patriote allemand, dit Haugwitz au ministre d’un État secondaire. Pourriez-vous consentir à détacher de l’Empire les belles provinces de la rive gauche du Rhin ? Non, il faut que ces pays nous soient rendus. Quant à votre prince, il y gagnera de toutes les manières. Nous adopterons à son égard le système de la France, mais en sens inverse. Le Directoire a voulu agrandir les États séculiers pour s’en faire une barrière contre l’Empire ; nous les agrandirons aussi, soit par des sécularisations, soit autrement, pour faire une barrière contre la France. » Leurs insinuations seront désormais celles mêmes que feront en 1815 les alliés qui, comme Alexandre, voudront se ménager une entente avec la France, tout en l’enchaînant : « Que la France se renferme dans ses limites : qu’elle manifeste son intention de n’en pas sortir, et elle sera forte », disait encore Haugwitz à l’envoyé d’Espagne à Berlin[1].

Les Russes et les Anglais pressent Frédéric-Guillaume de prendre un parti. Mais ce roi, jaloux d’un pouvoir qu’il hésitait toujours à exercer, voyait une usurpation dans les conseils de ses ministres, un piège dans les ouvertures de ses alliés : il se

  1. Rapport d’Otto, 29 mai 1799. Bailleu, I, p. 501.