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Bourse, que la haute Banque, les grands établissemens, loin d’en pâlir jamais, y trouvent toujours une occasion de rafles fructueuses. Tenant les cartes en main, ils semblent maîtres du jeu, sûrs de gagner à la baisse après s’être enrichis à la hausse, encaissant, en toute sécurité, de larges différences dans les deux sens. A une certaine hauteur de fortune, pour la haute Banque notamment, il n’y aurait plus de risques, rien que des chances de gain, ou mieux, rien que des certitudes de bénéfices. Assurément, les grandes maisons et les grands banquiers, les magnats de la finance, sont moins exposés aux pertes que les petits spéculateurs ou les gens du monde. Ils ont plus de ressources et ils ont plus d’expérience ; ils ont plus de moyens d’informations ; ils connaissent mieux le terrain ; ils sont plus habiles et ils sont plus sages, car, ayant plus à perdre, ils sont d’habitude moins téméraires ou gardent plus de prudence dans l’audace ; en un mot, ils sont moins joueurs, et, s’ils se laissent surprendre par une crise, ils savent mieux se tirer d’affaire. Ainsi, devant une tempête, les puissans steamers, les grands transatlantiques courent moins de péril qu’une frêle goélette ; les capitaines expérimentés et les vieux loups de mer se laissent moins facilement jeter à la côte que les amateurs montés sur une barque de plaisance ; et quand un bateau vient à donner sur les écueils, les matelots, habitués à lutter avec la lame et bons nageurs, ont moins de peine à gagner la terre que les passagers du bord.

Le financier, le spéculateur professionnel, a appris à s’arrêter à temps ; il sait, au besoin, « retourner sa position », passer de la hausse à la baisse et de la baisse à la hausse. N’importe, les plus riches, les plus puissans, comme les plus habiles, payent, eux aussi, leurs témérités. Il n’est pas vrai que, pour eux, les dés soient pipés ; il est faux qu’ils jouent à coup sûr. L’histoire financière du XIXe siècle est remplie du fracas de la chute de grandes maisons. Il en est des potentats de la Bourse et des princes de la finance comme des rois et des conquérans. Aucun n’est à jamais assuré du succès ; si grands soient-ils, s’ils ont trop de confiance en leur force, et trop de foi dans leur étoile, s’ils se complaisent à braver la fortune, ils trouvent leur Waterloo ou leur Poltava. A la Bourse aussi, un Charles XII, toujours avide de nouvelles aventures, un Napoléon même qui veut tout subjuguer, sont, malgré leur vigueur ou malgré leur génie, sûrs de finir par la défaite. A la Bourse aussi, ceux qui fondent une puissance ou une dynastie