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heureux de palper quelques milliers de francs, sans être trop curieux de savoir d’où provenait l’argent. Car c’est, justement, ces pseudo-syndicats de garantie, sans risques réels ou apparens, dont les profanes, plus encore que les professionnels, se montrent le plus friands. Chacun veut être porté sur la liste des syndicataires, n’y voyant qu’une feuille de bénéfices. Ce qu’ont de plus attristant peut-être toutes ces nauséabondes turpitudes, c’est l’espèce d’inconscience et comme de candeur dans la corruption qu’y apportent nombre de ceux qui s’y salissent les mains. Il y a, en effet, quelque chose de non moins écœurant que les vilenies hypocrites ou cyniques des flibustiers de la finance ou des corrompus de la politique, c’est l’avidité ingénue des mondains qui se disputent les miettes de la table des financiers. L’agiotage en gants blancs des salons ou des clubs, voilà ce que la corruption contemporaine offre peut-être de plus répugnant, — à moins que ce ne soit, à l’autre extrémité de notre société, ce nouveau produit de la démocratie, l’agiotage aux mains calleuses de la clientèle des petites agences.

La Bourse des valeurs ne doit pas nous faire oublier la Bourse du commerce. Nombreuses sont les valeurs cotées à la Bourse et à la coulisse ; elles ne le sont pas assez au gré de certains hommes du monde. La Bourse et la coulisse n’offrent pas un champ assez vaste à leur génie ; les oscillations des valeurs et les mouvemens des cours ne sont pas assez amples pour leur appétit. Louis XV, selon la légende, n’avait pas honte de spéculer sur les blés ; pourquoi les gentilshommes de cette fin de siècle auraient-ils plus de scrupules ? Si le commerce déroge, il n’en est pas de même de la spéculation sur les denrées commerciales. En certains cercles, c’est presque une élégance ; aussi avons-nous vu des hommes du monde — et du meilleur — chercher à s’introduire à la Bourse du commerce. Ils avaient appris que les blés, les cafés, les huiles, les sucres offraient, grâce aux variations de cours, plus de facilités de jeu, partant plus d’occasions de gain rapide, que les rentes ou les chemins de fer. Comme un journal est toujours là, chaque fois qu’il se rencontre un nouveau filon, une nouvelle mine de corruption à exploiter, il s’est trouvé des feuilles spéciales pour enseigner aux profanes que, nulle part, on ne peut faire d’aussi bons coups qu’à la Bourse du commerce. « Les valeurs sont trop chères, les mines d’or sont trop loin, répètent ces ingénieux conseillers, les produits du sol offrent