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Ces deux témoignages, il en coûte de l’avouer, sont formels, car il est impossible de mettre en doute leur authenticité. Ils expliquent l’irritation extrême du Roi, sans toutefois la justifier entièrement, car les services rendus au pays par ce grand serviteur de l’État auraient pu lui mériter plus d’égards, même en admettant la nécessité de son éloignement momentané des affaires. Quoi qu’il en soit, c’est au moraliste à conclure, une fois de plus, que les hommes doivent redouter plutôt que rechercher un certain degré d’élévation, et que, parvenus au faîte des honneurs, ils ne peuvent en supporter, sans fléchir, l’écrasant fardeau. La tête tourne volontiers sur ces cimes où le monde est à vos pieds, et le moindre faux pas peut amener la chute.

« Ma guerre d’Espagne, nous dit Chateaubriand, dans son Congrès, le grand événement politique de ma vie, était une gigantesque entreprise. La légitimité allait, pour la première fois, brûler de la poudre sous le drapeau blanc, tirer son premier coup de canon, après ces coups de canon de l’Empire qu’entendra la dernière postérité. Enjamber d’un pas les Espagnes, réussir sur le même sol où naguère les armées d’un conquérant avaient eu des revers, faire en six mois ce qu’il n’avait pu faire en sept ans, qui aurait pu prétendre à ce prodige ! C’est pourtant ce que j’ai fait. Mais par combien de malédictions ma tête a été frappée à la table de jeu où la Restauration m’avait assis. »

Évidemment, l’homme qui a écrit ces lignes ne pouvait pas s’accommoder d’une situation qui ne fût pas officiellement la première. Les événemens la lui avaient donnée, en fait, depuis la guerre d’Espagne. La consécration par l’Europe de sa politique personnelle l’autorisait, dans une certaine mesure, à y prétendre, Grâce à la bienveillance, on pourrait dire à l’amitié, que lui témoignait en particulier l’empereur Alexandre et dont ses lettres portent la trace irrécusable, il pouvait espérer désormais obtenir des résultats de quelque importance dans l’orientation de notre politique étrangère. Il se sentait d’ailleurs porté par l’opinion du pays. Tout en étant originaire d’une noble et ancienne famille, il aimait à se voir acclamé, en même temps, comme l’homme des générations nouvelles. Le nombre était grand des cœurs qui battaient encore, des esprits qui vibraient à l’unisson du sien. La France avait plus d’une fois suivi les inspirations de son barde armoricain qui, après lui avoir rapporté de l’exil l’écho de ses vieilles croyances religieuses affaiblies par la révolution, avait