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de priorité sur les territoires qui s’étendent perpendiculairement dans toute l’étendue des terres. Armée de ce droit nouveau, l’Allemagne n’a pas désespéré de rattraper le temps perdu, et d’étendre son empire, en dehors de l’Europe, à travers le monde entier. Elle continue d’obéir, en somme, à l’instinct qui l’a si bien servie une première fois. Le continent européen semblait occupé et déjà plein lorsque la Prusse a formé le dessein de s’y faire sa place par le double jeu de la politique et de la force. Le succès de sa première entreprise l’encourage à en tenter une seconde.

Dès le début de son règne, on a constaté chez Guillaume II une inclination passionnée vers les choses maritimes. Il voulait avoir une grande marine, et, avec le génie pratique de sa race, s’il voulait l’avoir, c’était pour s’en servir. La marine qu’il rêvait devait être l’instrument d’une politique parfaitement définie dans son esprit. Il croyait à la conservation de la paix générale. Dès lors, sans rien perdre de sa force militaire, garantie du maintien du statu quo européen, il s’est proposé d’augmenter sa force navale, et, cette fois, avec une tout autre intention que de maintenir pareillement le statu quo dans le reste du monde. C’était, d’ailleurs, un problème difficile à résoudre. Personne encore ne se l’était posé dans des conditions aussi nettes, aussi franches que l’empereur Guillaume. L’Angleterre consacre la plus grande partie de ses ressources disponibles à être et à rester la nation maritime par excellence ; du moins elle l’a fait jusqu’ici ; nous verrons bientôt qu’elle est travaillée à son tour par un besoin nouveau, et qu’elle commence à se demander si son armée, telle qu’elle est recrutée et organisée, suffit à toutes les éventualités auxquelles elle aura bientôt à faire face. La France est à la fois militaire et maritime, et le double but qu’elle poursuit a peut-être affaibli quelquefois l’énergie efficace avec laquelle elle a cherché à atteindre tantôt l’un, tantôt l’autre. Elle reste avant tout une puissance continentale, et à ce titre elle fait passer dans ses préoccupations son armée avant sa flotte, sans négliger pourtant celle-ci. Il en est, il en sera probablement de même de l’Allemagne. Elle aussi est une puissance continentale, et elle ne l’oublie pas ; mais, satisfaite de sa situation en Europe et confiante dans la force défensive, au besoin agressive, de son armée de terre, elle cherche à développer son armée de mer. Telle est la pensée constante de son empereur.

Cette pensée n’est pas adoptée par tout le monde en Allemagne ; elle y rencontre même beaucoup d’opposition. L’ermite grondeur de Friedrichsruhe s’en est quelquefois expliqué sans ménagemens, dans