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chinois, s’il s’est fié aux traditions, a dû s’attendre à une intervention diplomatique qui se produirait peut-être sous une forme impérative et menaçante, mais dont il userait peu à peu l’énergie première en y répondant avec beaucoup de patience et de subtilité. Sa stupéfaction, ou plutôt sa stupeur a dû être extrême lorsqu’il a appris que l’Allemagne avait procédé tout autrement. L’occupation militaire de Kiao-Tchéou, sans déclaration d’hostilités, sans aucun de ces avertissemens préalables qu’un État donne à un autre avant de procéder contre lui par la force, est sans conteste un fait contraire au droit des gens. Toutefois, l’histoire en présente quelques-uns de ce genre, et l’Allemagne ne s’embarrasserait d’ailleurs pas beaucoup pour créer un précédent si elle en manquait. « Je me pique d’être original », disait déjà Frédéric le Grand. Le débarquement d’hommes armés sur un rivage, la sommation adressée au gouverneur d’un fort, enfin l’occupation de la place, ont été l’affaire de quelques heures. Ce qui était plus intéressant était de connaître la suite. L’Allemagne s’était emparée d’un gage ; soit, mais avait-elle l’intention de le garder ? Était-ce de sa part un simple moyen d’intimidation, ou une prise de possession définitive ? On n’a pas tardé à être fixé à cet égard : le cabinet de Berlin a présenté au Tsong-li-Yamen une formidable note à payer Jamais encore le sang de deux missionnaires européens, quelque précieux qu’il soit, n’avait été mis à un si haut prix. Qu’on en juge. L’Allemagne réclame : le paiement d’une indemnité de 200 000 taëls pour le meurtre ; l’érection d’une cathédrale à l’endroit où il a été commis ; le remboursement des dépenses nécessitées par l’occupation de Kiao-Tchéou, — même lorsqu’elle travaille pour son compte, l’Allemagne ne le fait pas gratuitement ; — la dégradation du gouverneur du Chan-Toung ; le châtiment des assassins et des fonctionnaires complices ; le monopole des chemins de fer du Chan-Toung ; enfin, la cession bénévole de Kiao-Tchéou, qui deviendrait un dépôt de charbon allemand. C’est beaucoup ! Les deux derniers articles surtout étaient imprévus. Les autres, passe encore ; bien que rigoureux, ils s’appliquent tous directement à l’incident à réparer ; mais quel rapport peut-on apercevoir entre la vengeance légitime à tirer d’un meurtre de missionnaires et le fait de s’attribuer le monopole des chemins de fer dans la province arrosée de leur sang, ou encore celui d’y établir un dépôt de charbon ? Non seulement il n’y a pas de proportion entre l’effet et la cause, mais il y différence de nature. Aussi tout porte-t-il à penser que le meurtre de ses missionnaires a été simplement un prétexte pour l’Allemagne. A défaut de celui-là, elle en aurait trouvé un autre, elle l’aurait fait