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peut laisser aucune autre puissance s’établir au-dessous de la rivière de Canton, et surtout du détroit formé par l’île d’Haïnam et le continent asiatique. Au nord, la place était relativement libre, et il était dès lors naturel de choisir un point situé à proximité du golfe de Petchili et de Pékin. Le golfe de Petchili est, comme on le sait, séparé de la haute mer par deux promontoires qui en commandent l’entrée. L’un, au nord, se termine par Port-Arthur, où les visées russes étaient connues depuis longtemps ; l’autre, au sud, présente l’importante situation de Weï-Haï-Weï, occupée par les Japonais. L’occupation des Japonais est provisoire : il y a des chances, et elles sont même de plus en plus grandes, pour que ce provisoire se prolonge beaucoup. Les Allemands ne pouvaient pas aller à Port-Arthur, car ils tiennent avant tout à ne pas se brouiller avec les Russes et à ménager leurs intérêts. Ils ne pouvaient pas davantage aller à Weï-Haï-Weï, puisque les Japonais y sont. Ils ont dû descendre un peu plus au sud, de l’autre côté du promontoire méridional qui forme le golfe de Petchili, et Kiao-Tcheou s’offrait à eux comme la carte forcée : mais cette carte était un excellent atout, bon à prendre, bon à garder.

L’empereur Guillaume, au cours d’une de ces allocutions qu’il sème si abondamment tout le long de ses voyages, a parlé avec une grande confiance de son ami l’empereur Nicolas, dont les vues politiques, a-t-il assuré, sont tout à fait d’accord avec les siennes. Dans les circonstances actuelles, ce langage devait être et il a été très remarqué. Faut-il en conclure que tout ce qui vient de se passer en Extrême-Orient était d’avance connu de la Russie et approuvé par elle ? Cette conclusion serait peut-être excessive. La vérité est que la brusque initiative de l’Allemagne a produit quelque surprise à Saint-Pétersbourg. Les journaux russes, qui ne parlent guère qu’à bon escient de politique extérieure, aussi bien d’ailleurs que de politique intérieure, sont ceux de l’Europe qui ont montré tout d’abord la plus mauvaise humeur. Toutefois, la Russie n’a pas perdu son temps à récriminer. À quoi bon ? Le fait était accompli. Incontestablement, l’empereur Guillaume avait préparé son coup de longue main ; il avait agi avec réflexion ; il ne reculerait pas. La Russie n’avait donc qu’un parti à prendre, qui était d’opérer elle-même sans aucun retard un mouvement sur Port-Arthur. L’équilibre rompu au profit de l’Allemagne se trouvait de la sorte rétabli, si même la balance ne penchait pas du côté de la Russie : quelque belle que soit, en effet, la situation de Kiao-Tcheou, elle ne vaut pas celle de Port-Arthur. Nous doutons même que,