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battans de la porte du Petchili. Il est vrai que, pour la même raison, d’autres puissances peuvent avoir intérêt à les maintenir divisés.

En somme, les incidens qui se sont passés jusqu’ici en Extrême-Orient, bien qu’importans, à coup sûr, et dignes d’être surveillés avec la plus grande attention, n’ont pas toute la gravité qu’on leur a quelquefois attribuée. S’ils préparent l’avenir, c’est un avenir encore très éloigné de nous. S’ils obligent toutes les puissances à prendre des précautions, ils n’en obligent aucune à se lancer dans des aventures, et à s’exposer à un péril pour échapper à un autre. Nos précautions sont prises, sans nul doute, et nous ne nous laisserons pas déconcerter par les événemens. Le prince Henri de Prusse est en route pour les mers de Chine ; il y arrivera dans quelques semaines. Il porte avec lui un secret qu’il nous est impossible de pénétrer entièrement. « Je connais fort bien la pensée de Votre Majesté », a-t-il dit à son frère, qu’il lui a été donné de « regarder dans les yeux. » Comme cela ne nous a pas été donné, nous connaissons moins la pensée de l’empereur d’Allemagne, et nous n’essaierons pas de la deviner. Mais si l’empereur Guillaume est d’accord, comme il l’a dit, avec l’empereur Nicolas, sa pensée doit être rassurante. De plus, le prince Henri, en allant faire visite à la reine Victoria, a vraisemblablement été chargé de lui apporter des paroles propres à dissiper les appréhensions que les fanfares de Kiel auraient pu faire naître. Il ne semble pas, en effet, qu’après son départ, l’Angleterre ait manifesté la moindre inquiétude. Noël est venu, et tout le monde politique s’est dispersé pour jouir en famille de cette paix des vacances qui, chez nos voisins, admet difficilement les distractions. Nous ne dirons pas de l’empereur Guillaume, comme Talleyrand le disait du diplomate idéal, que la parole lui a été donnée pour déguiser sa pensée ; mais il s’en sert à coup sûr, et il en joue avec une maestria supérieure, pour couvrir sa pensée sous de larges développemens, où elle disparaît à la manière de ces dieux antiques qui se cachaient dans un nuage éclatant. L’empereur ne parle pas toujours avec autant de mesure qu’il a l’habitude d’agir. Depuis qu’il est sur le trône, il a fait beaucoup plus de discours redondans que d’actes compromettans pour lui, ou même pour d’autres, et c’est d’après ses actes qu’il convient de le juger. Qu’il ait voulu occuper l’Europe en Extrême-Orient, rien n’est plus probable ; mais qu’il se soit proposé de fomenter sur ce nouveau champ d’action les conflits violens, qu’il a évités sur l’ancien avec tant de prudence, cela l’est beaucoup moins. Les journaux allemands, depuis quelques jours surtout, semblent avoir reçu pour mot d’ordre de se montrer rassurans, et d’atténuer les couleurs