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rassemblées au point initial, sur la route de Philippeville à la hauteur de Florenne, à 7 heures seulement.

Tout le 4e corps était en émoi. On venait d’apprendre que le général de Bourmont, commandant la division de tête, avait passé à l’ennemi. Cette désertion confirmait bien malencontreusement les craintes de trahison et les suspicions contre les chefs dont depuis trois mois les soldats avaient l’esprit troublé. Des murmures et des imprécations partaient des rangs. Déjà un des brigadiers de Bourmont, le général Hulot, « jugeant le moment critique », avait calmé les deux régimens sous ses ordres en leur jurant solennellement, l’épée à la main, « de combattre avec eux les ennemis de la France jusqu’à son dernier souffle. » Gérard, à son tour, crut devoir passer devant le front des troupes et les haranguer ; elles répondirent par des acclamations. Gérard, sans doute, était plus contrarié encore que ses soldats de la désertion de son protégé Bourmont. Hulot lui en donna les détails.

Un peu après 5 heures du matin, Bourmont était monté à cheval à Florenne avec tout son état-major, le colonel Clouet, le chef d’escadrons de Villoutreys, les capitaines d’Andigné, de Trélan et Sourda et une escorte de cinq chasseurs. Les avant-postes français passés, il avait remis au brigadier de chasseurs une lettre pour Gérard, écrite à Florenne, l’avait congédié ainsi que l’escorte, et s’était élancé au galop avec ses officiers dans la direction de la frontière. Il disait dans sa lettre à Gérard : « … Je ne veux pas contribuer à établir en France un despotisme sanglant qui perdrait mon pays… J’aurais donné ma démission et serais allé chez moi si j’avais pu croire qu’on m’en laissât le maître. Cela ne m’a pas paru vraisemblable et j’ai dû assurer ma liberté par d’autres voies… On ne me verra pas dans les rangs étrangers. Ils n’auront de moi aucun renseignement capable de nuire à l’armée française, composée d’hommes que j’aime et auxquels je ne cesserai de porter un vif attachement[1]. »

Deux heures après avoir écrit cette protestation qu’il n’était

  1. C’est en vain que dans sa lettre Bourmont s’efforce d’excuser sa conduite. Il est trop prouvé que, loin de le contraindre à prendre un commandement, l’Empereur n’avait consenti à l’employer que sur les instances réitérées de Ney et de Gérard et que, très vraisemblablement, si ces deux officiers avaient tant insisté, c’était à la demande de Bourmont lui-même. La lettre à Gérard ne prouve qu’une chose : la préméditation de Bourmont, préméditation confirmée d’ailleurs par le détail, cité plus loin, d’une cocarde blanche à son chapeau dès son entrée sur le territoire ennemi. Il n’avait pas, apparemment, trouvé cette cocarde sur la grande route.