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l’administration des sociétés. D’autres iraient plus loin, ils verraient volontiers l’État s’emparer de toutes les grandes affaires, et, sinon les gérer lui-même, en désigner les gérans, nommer lui-même les présidens ou les gouverneurs des Compagnies, au moins confirmer le choix des assemblées d’actionnaires, donner une sorte d’investiture aux directeurs ou aux administrateurs, comme cela se pratique déjà, chez nous, pour quelques sociétés. Qu’est-ce à dire, sinon que l’on se flatte de moraliser les affaires par l’ingérence de l’État ? et, pour cela, beaucoup emmailloteraient volontiers toutes les sociétés dans les langes administratifs, ne les laissant marcher qu’avec des lisières bureaucratiques, comme si l’Etat était le gardien ou la bonne d’enfant de toutes les sociétés.

Voilà, faut-il l’avouer, une méthode dans laquelle nous avons, pour notre part, peu de confiance. L’ingérence de l’Etat dans l’administration des compagnies financières ou industrielles ne se justifie qu’en quelques cas fort rares, pour les institutions ayant à la fois un caractère privé et public. Tout ce qui introduit la main de l’Etat, par suite la main du gouvernement — c’est-à-dire la main des ministres, des députés, des politiciens — dans les affaires d’argent doit être évité, autant dans l’intérêt de l’Etat que dans l’intérêt du public. Banques, chemins de fer, tramways, mines, sociétés industrielles, toute immixtion de l’Etat ou des municipalités dans les affaires suscite et multiplie les occasions de corruption. Donner à l’État ou aux villes, donner aux politiciens et aux partis des places lucratives à distribuer, c’est ouvrir un champ de plus à l’intrigue, au favoritisme et au népotisme. Ce qu’était, sous l’Ancien Régime, la feuille des bénéfices aux mains des rois, les compagnies financières le deviendraient, bien vite, aux mains des chefs de partis ; elles seraient la proie des amis du pouvoir et des puissans du jour. Déjà, aujourd’hui, les banques, les institutions placées sous la tutelle du gouvernement, sont souvent suspectes de complaisances envers les chefs de gouvernement. Il nous serait facile d’en citer des exemples récens dans des pays voisins. Nous avons, nous aussi, quelques institutions, comme la Banque de France et comme le Crédit Foncier, dont les gouverneurs sont nommés par l’État. C’est assez. Il est peu désirable d’en accroître le nombre. Peut-être sont-ils déjà trop nombreux. Cela, parfois, peut donner au public une fausse sécurité et faire retomber sur l’Etat des responsabilités embarrassantes.

Les personnes qui ont pris part à l’administration des