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volontiers l’exemple de la Chine, pour montrer où mène la superstition du savoir. Dans la société positive, la recherche scientifique sera soumise au contrôle du pouvoir spirituel. La période qui nous sépare du moyen âge, et qui est remplie par le développement des sciences, est définie par Comte une longue « insurrection de l’esprit contre le cœur. » Cette insurrection fut sans doute indispensable au progrès de l’humanité, mais, si elle se prolongeait dans la période positive, elle deviendrait criminelle.

Ce langage est très net. Cependant, Comte en a tenu souvent un tout différent. Pourquoi dit-il, par exemple, que la supériorité intellectuelle est la plus rare et la plus précieuse de toutes ? Comment, dans sa philosophie de l’histoire, fait-il du développement de l’intelligence le pivot de toute l’évolution humaine ? Et pourquoi regarde-t-il la « parfaite cohérence logique » comme le signe le plus sûr de la vérité ?

La contradiction n’est qu’apparente, et la solution en est fournie par la philosophie de l’histoire. Il suffit de distinguer la période qui précède l’apparition de la philosophie positive, et celle qui la suit. Jusqu’à la fondation de cette philosophie, l’intelligence joue dans l’évolution de l’humanité un rôle prépondérant. C’est elle qui, tirée de sa torpeur primitive par le besoin, par la guerre, par mille dangers, a observé les premières liaisons réelles entre les phénomènes naturels, germe de la science future. Elle a fondé les premiers gouvernemens. Par une suite de lentes révolutions, elle a fait succéder les conceptions métaphysiques aux théologiques, et les positives aux métaphysiques. Elle a enfin étendu jusqu’aux faits moraux et sociaux la méthode victorieuse qui donne à l’homme la puissance par la prévision. Mais, parvenue là, elle prend conscience à la fois de son évolution et du but de cette évolution. Elle apprend, par la sociologie, qu’elle n’a pas sa fin en elle-même, et qu’elle est subordonnée au « cœur », c’est-à-dire à l’amour. Elle accepte la fonction, essentielle encore, mais secondaire, que lui assigne désormais l’intérêt suprême de l’humanité. Elle n’est que faible, comme disait Pascal, si elle ne va pas jusque-là.


V

Notre connaissance, dit A. Comte, est nécessairement relative. La relativité de la connaissance a été entendue de bien des