Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE RÊVE ET LA RÉALITÉ

Rien n’est plus frappant que la ressemblance du rêve avec les perceptions de la veille. Nous voyons, dans nos rêves, des objets, des personnes, des évènemens identiques à ceux de la veille. La croyance à la réalité de ces objets, de ces personnes, de ces évènemens, est aussi absolue que pendant la veille. On ne saurait trop insister sur ce point : la sensation du réel est aussi complète, aussi intense. Les émotions sont aussi profondes et aussi vives ; les joies ont souvent une saveur délicieuse, les douleurs sont aussi cruelles ; dirons-nous même plus ? Elles sont presque plus cruelles que les douleurs réelles elles-mêmes ; elles ont je ne sais quoi de plus poignant, de plus éperdu, un infini qui manque presque toujours aux souffrances de la vie. Qui ne se rappelle le supplice fantastiquement horrible des cauchemars ? Qui n’a éprouvé, dans le rêve, de ces détresses immenses où l’âme s’abîme tout entière ? Qui n’a senti, — en rêvant, quelque nuit, d’une séparation, du départ d’une personne aimée, — cette désolation sans bornes, qui fait paraître si douce la réalité au réveil, et qui rend si bien à un amour refroidi toute son ardeur ? — En tous cas, ces angoisses du rêve sont aussi réelles que celles de la veille ; nous les prenons aussi pleinement au sérieux. L’existence de tout ce que nous voyons et sentons est aussi évidente dans le rêve que dans la veille.

Descartes, dans la première méditation, exprime cette idée de la façon la plus précise et la plus vivante : « Combien de fois m’est-il arrivé de songer la nuit que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu