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rêve, c’est que la volonté ou, en d’autres termes, l’attention, en est absente. Si nous croyons à nos songes, quoique extravagans, c’est précisément parce que l’attention volontaire fait défaut : nous ne pouvons pas alors rapprocher une partie du songe d’une autre partie, ce qui nous en montrerait, avec l’absurdité, l’irréalité. « Les songes excluent tout exercice actif de la faculté d’attention ; la preuve de ce fait se déduit évidemment de l’extravagance de la plupart des songes. Tout prouve donc bien alors qu’un tel état exclut absolument tout pouvoir volontaire d’attention et de rappel, pour comparer entre elles et à la réalité les différentes parties de nos rêves[1]. » Signalons simplement ici l’illusion déjà décrite : oui, sans doute, au réveil, je trouve que ma volonté était absente pendant mon sommeil ; mais, pendant le rêve même, j’ai l’impression que je fais acte de volonté, que je délibère, que je décide, que je suis attentif, que je réfléchis, que je compare. — On formulerait les mêmes réserves à propos de l’immoralité du rêve, mise en relief par certains auteurs, notamment par M. Radestock[2]. Oui sans doute, au réveil, nous trouvons que nous avons été, en dormant, d’une immoralité, ou plutôt d’une « amoralité » odieuse. Mais, pendant le rêve, nous avons des idées et des sentimens moraux ; nous avons des scrupules, des remords, des indignations, des mépris, comme dans la veille ; après coup, nous estimons qu’ils étaient singulièrement placés : peu importe. — J’en dirai autant pour ce changement dans le « rythme du temps », qui a frappé plusieurs psychologues : oui, sans doute, le rythme de la durée semble changer ; oui, sans doute, il nous semble que nous avons vécu, dans les quelques heures ou dans les quelques minutes du sommeil, de longues années. Mais c’est encore là, dans une large mesure, une illusion du réveil. Une fois réveillés, nous apprécions la durée des événemens rêvés d’après les lois ordinaires de la vie réelle. Nous imaginons, entre les divers tableaux du rêve, les intermédiaires qui, dans la réalité, seraient nécessaires, et qui exigeraient beaucoup de temps.

Quant aux changemens de personnalité, et, en particulier, aux changemens de caractère, qui se produiraient dans le rêve, je pourrais les contester de la même façon ; mais il me semble qu’ici il y a mieux à dire ; je me demande si, loin d’être transformé,

  1. Op. cit., p. 239.
  2. P. Radestock, Schalf und Traum ; Leipzig. 1879.