Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tout ce qu’il a fait entrer d’inutilités dans sa plaidoirie ? lequel de nous deux répondrait, au vrai sens du mot ? et si Me Gondinet n’était pas content de moi, se trouverait-il un tribunal en France qui lui permît d’invoquer contre moi le bénéfice du « droit de réponse » ? Je parle, comme on l’entend bien, dans l’hypothèse où ma critique de sa plaidoirie ne contiendrait rien de plus vif que la critique de la Frédégonde de M. Dubout par M. Jules Lemaître.

Prenons un autre cas. Supposons qu’un homme politique, un homme public, sénateur, ministre ou député, un conseiller général, un conseiller municipal, monte à une tribune, y prenne la parole et, deux ou trois heures durant, se donne librement carrière contre des hommes, contre des institutions ou des idées qui me sont chères. Ce n’est pas non plus, je pense, un cas imaginaire. Les noms se presseraient sous ma plume ; et si j’e n’en cite aucun ici, c’est pour ménager au lecteur, qui n’en sera pas plus embarrassé que moi, le plaisir légitime d’y mettre ceux qu’il voudra lui-même. Journaliste ou chroniqueur, j’analyse et j’apprécie le discours de cet homme ; j’oppose mes informations, mes raisons ou mes idées aux siennes ; je lui reproche avec vivacité, — mettons même avec véhémence, — l’acrimonie de son langage, le mensonge de ses raisonnemens, la perfidie de ses intentions… Qui donc encore ici exercera le droit de réponse ? Lui, le sénateur ou le député, si, pour avoir été « nommé ou désigné » dans mon article, il vient dans mon journal continuer son discours de la veille ? ou moi, qui ne songeais pas à lui, qui n’y aurais peut-être jamais songé s’il ne m’avait provoqué, qui ne me souciais enfin ni de lui ni de sa fortune, qui ne m’en soucie même pas encore, en lui répondant, mais uniquement de ce que je crois être la justice et la vérité ? Je ne songeais pas non plus à M. Dubout, et je ne lui avais pas demandé d’écrire une Frédégonde.

C’est un des argumens dont je me suis servi devant le tribunal de la Seine, et je ne sais ce que le tribunal en a pensé, puisqu’il ne l’a point dit dans son jugement, mais la plupart des journaux n’y ont semblé voir qu’une espèce de paradoxe, — et le dessein de faire assaut d’esprit avec Me Gondinet. Je m’en serais bien gardé ! Mais c’est qu’encore une fois tout le débat, ou plutôt toute l’équivoque est là, dans le sens qu’il convient de donner à ce mot même de « droit de réponse ». Le droit de réponse existe, il est écrit dans la loi ; la jurisprudence n’admet pas qu’on le restreigne ; et, ce sont ses propres expressions, elle ne veut pas que le juge « distingue là où la loi n’a pas distingué ». Voilà qui est entendu. Encore pourtant faut-il savoir quand une