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et que son héritier accomplit, lui semblait avoir été, au moment où il eut lieu, non seulement nécessaire, mais désirable. L’Empereur, pour la gloire du héros qu’il voulait célébrer, ne pouvait demander davantage. L’accord fut donc complet entre le souverain et son futur ministre sur le premier et le principal objet qu’ils eurent à traiter en commun, et ce fut là l’origine d’une confiance mutuelle dont l’effet devait, par une transition qu’on pourra suivre, s’étendre en tout un ensemble de relations qui ne paraissaient pas devoir naturellement en dépendre. Par un fait dont il n’y a jamais eu, je crois, d’autre exemple, tandis que dans le présent tout les séparait, l’union naquit entre eux de l’étude et de l’appréciation pareille du passé : une sorte de collaboration littéraire précéda ainsi et prépara l’association politique.

Cet hommage rendu au génie de Jules César, et au caractère de l’œuvre dont le souvenir reste attaché à son nom, n’était pas chez M. Duruy une opinion de circonstance, encore moins de complaisance. Il l’avait déjà établie publiquement à deux reprises, bien avant qu’il fût question d’aucun rapport entre l’Empereur et lui. La première fois, c’était dans un des chapitres déjà publiés de L’Histoire des Romains où, racontant les tentatives impuissantes de Caius Gracchus, il appelait ce tribun : un précurseur de César, et regrettait qu’il n’eût pas établi à Rome une tyrannie civile, préférable à la tyrannie militaire, qui avait dû nécessairement suivre. Bien entendu, il prenait le mot de tyrannie (qu’il avait soin de souligner) au sens qu’on lui donnait à Athènes, et non dans l’acception française de l’expression. Puis, ayant à subir l’épreuve du doctorat, il avait pris pour sujet de thèse l’état du monde romain au moment de l’établissement de l’empire, et il avait résolument battu en brèche la vieille tradition classique, celle qui déplorait la victoire de César à Pharsale en s’associant aux regrets de Caton et de Cicéron, et pour qui Brutus et Cassius étaient les derniers des Romains. Il avait montré par de bonnes raisons (qui sont aujourd’hui, je crois, assez généralement acceptées) que, si le régime impérial, comme le soutenait une fausse rhétorique, n’avait amené à sa suite que honte et oppression, il n’aurait pu être accueilli (ainsi qu’il le fut en effet) par les populations du monde romain, non seulement sans résistance, mais avec une soumission empressée et reconnaissante. C’est, disait-il, que la république à laquelle César a porté le coup mortel, n’était plus que l’ombre d’elle-même, et une ombre sanglante. Déchirée à l’intérieur et dévorée