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Quatre ans après, la police elle-même devait laisser passer la liberté. L’Empire étant décidément entré dans les voies constitutionnelles, une de ses premières concessions fut d’accorder le principe de la liberté à l’enseignement supérieur, et une commission fut nommée pour en régler les conditions. M. Guizot, quoique octogénaire, consentit à en diriger les travaux, et j’eus l’honneur d’y prendre part avec les membres les plus éminens de l’Université et du clergé : M. Dubois, ancien directeur de l’Ecole normale, M. Bersot, M. Boissier, M. Franck, le Père Perraud aujourd’hui cardinal. Ce souvenir est même pour moi plein d’émotion, car j’étais assis à côté de Prevost-Paradol, si près de sa fin funeste, et en face de l’aimable Père Captier, tombé l’année suivante sous les balles de la Commune. On put voir alors combien avait été factice l’émotion suscitée et entretenue si peu de temps auparavant, et combien, du moment que le terrain de la liberté était loyalement accepté, l’entente sur les moyens de la pratiquer était, entre hommes consciencieux, facile à établir ; car je puis attester qu’aucune parole désobligeante, ni même aucune contestation un peu trop vive, ne vint troubler le cours de nos discussions, et ce fut en commun, dans un vrai sentiment d’accord, malgré quelques divergences inévitables, qu’on aboutit à un projet dont les dispositions étaient plus libérales que celles dont l’enseignement supérieur jouit aujourd’hui. La cause était désormais assez bien gagnée pour que M. Duruy lui-même prît plaisir à constater que les obstacles qui avaient motivé son vote négatif avaient disparu. Le 28 juin 1870, devenu simple sénateur, il prenait l’initiative d’un projet de loi sur le même sujet, dont l’exposé était rédigé dans un véritable esprit de conciliation, mais qui, malheureusement, ne parut au Journal Officiel que la veille des désastreuses nouvelles annonçant la chute de l’Empire.

J’ai dit comment M. Duruy a réussi à modifier heureusement l’enseignement supérieur en fondant, à côté des facultés existantes, un établissement nouveau, l’Ecole des hautes études. Est-ce un succès du même genre qu’il recherchait dans l’enseignement secondaire, en créant, là aussi, à côté de l’instruction donnée dans les lycées et dans les collèges, un nouvel ordre d’enseignement qu’il qualifia d’enseignement spécial ? Nullement ; ni le but n’était analogue, ni le résultat n’a été pareil. Il ne s’agissait cette fois, en aucune manière, de remplacer l’instruction classique par un programme différent de connaissances et d’études.