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de la rivière où mon bataillon se trouvait seul avec les tribus alliées et trois compagnies de zouaves. Cette position, qui pouvait me faire espérer quelques occasions d’engagemens avec l’ennemi, n’a servi qu’à m’empêcher de profiter d’un courrier dont j’ai ignoré le départ. M. de Montredon, plus heureux que moi, a pu vous donner des nouvelles d’un corps pour lequel vous avez beaucoup fait et qui sait apprécier l’intérêt que vous voulez bien lui conserver.

Au retour, lorsque le quartier général était à Mostaganem, le 2e léger était à Missigran[1], petite ville déserte depuis de longues années. Le Prince[2] devait nous passer en revue et s’embarquer le 15, mais, son indisposition étant devenue un peu plus grave, il renonça à nous voir et avança son départ de vingt-quatre heures. Quand j’en fus averti, il ne me restait que cinq minutes pour griffonner un billet qui ne pouvait être bien reçu que par une mère.

Nous sommes rentrés à Oran, le 17, à deux heures. Quelque mauvais que soit l’établissement d’une troupe, vous savez, mon général, le temps qu’il exige pour un officier qui remplit ses devoirs. Il était donc nuit close, quand je suis arrivé à mon logement ; le vaguemestre y entrait en même temps que moi, et j’ai reçu un monceau de lettres au milieu desquelles j’ai reconnu la vôtre… le l’ai lue et relue, avant de m’approcher du feu, avant de toucher à un morceau de pain et à une éponge, dont j’avais un égal besoin, morfondu, sale, affamé que j’étais ! Cette lettre si gracieuse, si bonne, m’a fait un extrême plaisir. Je suis heureux de pouvoir compter sur la bienveillance dont elle est empreinte ; mais, mon général, l’ingratitude ne saurait être comptée sans injustice au nombre de mes défauts, et j’espère bien que vous me regardez toujours comme le plus humble, mais le plus dévoué de vos serviteurs.

Le 18, nos hommes étaient à la corvée de la paille, quand nous reçûmes l’ordre de nous embarquer immédiatement sur la Ville-de-Marseille et le Scipion, tous deux vaisseaux de 74. Je suis monté sur le dernier avec le second bataillon ; l’autre portait le premier et l’état-major. Nous étions à bord le même soir. Une heureuse traversée nous a conduits en rade d’Alger le 20 au soir. La marine nous a lentement débarqués vingt-quatre heures après, et nous sommes arrivés, dans la nuit du 21 au 22, au camp de

  1. Mazapran.
  2. Le Duc d’Orléans.