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quelque emploi qu’on en veuille faire. Mais c’est une supériorité qui ne se manifeste que lentement et que reconnaît et apprécie difficilement une société démocratique où chacun est pressé d’arriver et personne n’a le temps d’attendre. S’applique-t-on alors à rechercher quel avantage immédiat et surtout quel profit on peut tirer de la culture littéraire pour telle ou telle profession déterminée ? Le résultat de ce calcul, étroitement utilitaire, peut toujours être contesté, et, pour ne pas vouloir reconnaître que les études classiques sont bonnes à tout, on court risque d’être amené à conclure qu’elles ne sont bonnes à rien. On ne peut vraiment pas reprocher à M. Duruy de n’être pas arrivé du premier coup à un but que personne n’est encore aujourd’hui sûr de pouvoir atteindre.

Suivis d’un heureux succès dans l’enseignement supérieur et d’un résultat insuffisant dans l’enseignement secondaire, les efforts de M. Duruy ont eu dans l’enseignement primaire une fortune très différente. Le mouvement qu’il a imprimé n’a pas seulement dépassé le but qu’il poursuivait : cette expression serait inexacte, il faut dire qu’il a de plus notablement dévié de la direction qu’il comptait lui donner. La première institution d’un plan général d’instruction primaire remonte à cette loi dont j’ai déjà parlé, et dont le souvenir est l’un des plus justes titres de la renommée de M. Guizot. Mais le développement en avait été continu et le progrès constant pendant les années de la monarchie constitutionnelle, puisque le rapport présenté par M. de Salvandy à la veille de 1848 constatait qu’en moins de quinze ans, il y avait eu trente-trois mille écoles ouvertes sur la surface de la France. Cet essor, un peu ralenti pendant les premières années de l’Empire, reçut une forte impulsion du ministère de M, Duruy par la construction de très nombreuses maisons scolaires, l’ouverture de beaucoup de cours d’adultes, et une organisation régulière donnée à l’enseignement primaire des filles.

Cependant la loi que M. Duruy proposa et fit voter en 1867 ne s’écartait pas encore du plan primitif, dont elle ne faisait qu’étendre les principes et perfectionner l’application. Seulement, en la présentant, il ne laissait pas ignorer qu’il avait voulu y introduire deux innovations importantes : étendre à tous la gratuité (dont le bienfait n’était jusque-là réservé qu’aux indigens) et imposer également à tous l’obligation de l’instruction. Si ces dispositions ne figuraient pas dans ce projet, c’est que l’Empereur, après y avoir donné son assentiment, avait dû le retirer devant