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craindre, que M. Duruy a su éviter. Pour le moindre des incidens de quelque importance, il compare et combine heureusement les témoignages, souvent assez différens entre eux, dont il se sert ; mais ce travail, qu’un petit nombre de renvois bien placés indiquent, disparaît dans l’exécution, et c’est ainsi qu’il a pu donner à la description de quelques-unes des grandes journées de la république — les batailles de Cannes, de Pharsale et d’Actium, par exemple, — cette rapidité de marche et cette vivacité d’allure dont Voltaire, dans l’Histoire de Charles XII, a seul donné le parfait modèle.

Mais l’art de la narration qui, bien qu’un peu négligé de nos jours, demeurera toujours le mérite principal de l’historien, n’est pas le seul, ni à soi seul ne serait suffisant. La simple suite des faits ne donne qu’une idée très imparfaite des modifications que le temps amène dans les mœurs, dans l’état d’esprit, souvent dans les institutions d’un peuple, ou du moins dans leur application. Quelques temps d’arrêt sont donc nécessaires pour jeter un regard en arrière, mesurer le terrain parcouru et constater les changemens produits par les progrès ou la décadence d’une société qui se développe ou qui décline. Les recherches deviennent ici plus laborieuses, parce qu’elles ne sont plus guidées par la succession des événemens comme par un fil continu : ce sont des notions éparses qu’il faut recueillir dans des documens de toute espèce et de toute provenance, pour les grouper ensuite dans un tableau d’ensemble. C’est à quoi M. Duruy s’est appliqué avec succès en plaçant, soit en tête, soit au terme de chacune des périodes dans lesquelles se divisent les phases de cette longue histoire, des résumés qui font apprécier les résultats de celle qui s’achève, et attendre ce que doit amener celle qui va suivre. Un volume entier est ainsi consacré à présenter un tableau général de l’état de l’empire et de la société romaine au début du second siècle, aux divers points de vue politique, administratif, littéraire, religieux même et philosophique. Cette revue forme à elle seule une œuvre complète : et on peut citer comme la partie la plus remarquable, par la nouveauté et la justesse des aperçus, celle qui est consacrée à décrire l’intérieur d’une cité impériale. On n’a jamais mieux fait comprendre par quel système de décentralisation, habilement pratiqué sur une large échelle, l’empire ouvrait dans chaque province un champ à l’activité et même à l’ambition de tous ces sujets dont il avait fait des citoyens. C’est ainsi que se maintenait en