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I

Louise-Adélaïde de Condé naquit à Chantilly, le 5 octobre 1757. Son père, Louis-Joseph de Bourbon-Condé, était fils de ce duc de Bourbon qui fut, sous la minorité de Louis XV, chef du Conseil de régence, et qui mourut en 1740, laissant cet unique héritier. La duchesse de Bourbon ayant succombé l’année suivante, le jeune prince, orphelin de cinq ans, fut mis sous la tutelle de son oncle, le comte de Charolais, homme d’un caractère dur, de mœurs brutales, aussi peu propre que possible à l’éducation d’un enfant. C’est sans nul doute aux rebuffades de ce rude mentor que L.-J. de Condé dut, pour une bonne part, cette humeur renfermée, cette réserve ombrageuse dont il ne put jamais se défaire entièrement, et qui, aux yeux de certains de ses contemporains, gâta parfois l’effet de ses grandes qualités. Il est aisé d’imaginer que l’un des premiers soucis du comte de Charolais fut de marier de bonne heure un pupille en qui reposait tout l’espoir de la maison de Condé. A peine, effectivement, eut-il atteint sa dix-septième année qu’on le mit en demeure de faire son choix ; et la Cour apprit bientôt que la future princesse s’appelait Charlotte-Godfried-Elisabeth de Rohan-Soubise, fille du maréchal de ce nom.

Malgré l’antique illustration des Rohan, il y eut, parmi les princes du sang, quelque scandale d’une alliance où l’une des deux parties n’était pas de maison royale ; mais, partisans ou détracteurs, tous s’accordaient en un point : le charme, la beauté, les qualités exquises de la jeune fiancée. Grande, bien faite, « douée par excellence[1] », Mlle de Soubise, présentée depuis peu à la Cour, y avait obtenu un succès unanime. On l’avait longtemps crue destinée à M. de Rochefort ; mais le maréchal de Soubise professait, en matière de mariage, des idées particulières et étranges pour son temps. Il prétendait ne contraindre en rien les inclinations de sa fille, et répétait volontiers que, ne se reconnaissant pas le droit de disposer à son gré de la main d’une enfant, il attendrait qu’elle eût seize ans pour lui proposer les partis sortables, et qu’elle se déciderait elle-même librement. Bien lui prit de cette façon d’agir : à l’époque fixée, le prince de Condé s’offrit à la

  1. Dufort de Cheverny, Mémoires.