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pour voir passer l’héritière des Condé, courant après son carrosse, l’escortant de ses vivats jusque dans la cour du couvent. Là, nouveau spectacle : toutes les religieuses, convoquées à la hâte, se rassemblent au seuil de la maison, afin de rendre hommage à la nouvelle pensionnaire, défilent une à une devant elle pour lui baiser la main. Toute cette pompe, — ce « brouhaha », comme elle dit, — amusait fort l’enfant, lui donnait l’idée la plus avantageuse de son futur séjour. Aussi quand, la réception terminée, les sœurs lui demandèrent où elle voulait être conduite : « Là où l’on fait du bruit », fut sa première réponse. Sur quoi on la mena à l’Office. Mais les chants de Compiles ne la divertirent pas longtemps, et, dès la fin du premier psaume, se penchant à l’oreille de sa compagne : « J’en ai assez », lui dit-elle. Elle dut les jours suivans montrer plus de patience, bien qu’il lui arrivât parfois, pour accélérer les heures d’oraison, d’agiter furtivement le sablier qui devait en marquer le terme. Propos et façons qui ne faisaient guère prévoir la future religieuse, et propres à ébranler ceux qui se plaisent à croire aux vocations précoces.

Mme de Vermandois entreprit de ramener sa nièce à des sentimens plus édifians, et il est juste de reconnaître qu’elle y réussit au mieux. C’était une femme d’énergie et de volonté que l’abbesse de Beaumont-lès-Tours ; elle en avait, dès sa jeunesse, donné une preuve remarquable en déclinant, pour se consacrer à la vie religieuse, la main du roi Louis XV. On se racontait même, parmi les pensionnaires, que le Roi étant venu, pendant cette négociation, la relancer jusqu’en son monastère, elle avait eu l’audace de se soustraire à cette visite embarrassante, et s’était enfermée dans le donjon de l’abbaye, avec une obstination dont injonctions ni prières n’avaient pu la faire démordre. A l’époque où nous sommes arrivés, c’était une femme déjà mûre, grande, austère, imposante, l’air froid, n’ayant, — c’est sa nièce qui parle, — « aucune de ces manières qui attirent les enfans. » Mais cet extérieur sévère se rachetait par une bonté réelle, une haute intelligence, une attention soutenue à étudier le caractère, les goûts et les inclinations des filles de noble maison dont la direction lui était confiée. Si l’on y joint le prestige d’une femme qui avait refusé d’être reine de France, on concevra aisément l’espèce d’attrait qui entraînait vers elle les pensionnaires du couvent, l’influence profonde qu’elle exerçait sur leurs âmes. Tel fut le cas pour la princesse Louise : « J’avais pour ma tante, écrit-elle,