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lui soumet scène par scène ; elle approuve ou critique, retranche et modifie ; et ce travail en commun est la première origine de leur correspondance. Tous deux, bien entendu, assistent aux répétitions, tantôt chez Mme de Sainte-Hermine, tantôt chez l’archevêque de Bourges, qui est bien, au dire du prince, « le meilleur homme que la terre ait porté, et qui ne demande qu’à rire ; » et ils trouvent ainsi le moyen de passer désormais ensemble ces heures de l’après-dînée, qui, jusqu’alors, les séparait trop souvent à leur gré.

Quel fut le succès de la pièce du jeune officier ? Rien ne nous renseigne exactement sur ce point. La princesse « l’aima fort, » et cela suffit sans doute à l’auteur. Les lettres du prince de Condé nous apprennent seulement qu’elle s’appelait l’Impromptu de campagne, et qu’elle fut jouée le 25 juillet, en même temps que le Bourru bienfaisant, dans la salle de Justice, que le juge de l’endroit offrit « très poliment. » Le notaire de la ville remplissait l’office de souffleur. L’assistance était nombreuse et tant soit peu bigarrée : tous les « buveurs et buveuses », quelle que fût leur condition ; le duc de Bourbon, venu pour quelques jours voir son père et sa sœur, et pour qui l’on a retardé la date de la représentation ; l’archevêque de Bourges ; l’abbesse d’un monastère des environs ; et enfin deux capucins, qui se tiennent au premier rang de l’auditoire, « bouche bée, les yeux fixés sur les acteurs, et d’une attention qui ne leur permet ni de rire ni d’applaudir, tant ils ont peur de perdre un mot[1] ! »


V

Les plus belles fêtes ont un terme comme les plus douces idylles. L’heure de la dispersion approche, et la fin de juillet donne le signal des départs. Le duc de Bourbon s’échappe le premier, « plus empressé de s’en aller qu’il n’était enchanté de venir. » Le prince de Condé le suit de près[2], sans grand regret non plus de quitter « une petite et affreuse bourgade, isolée comme une île » du reste des humains, et s’en va au château de Betz[3], reprendre sa chaîne chaque jour plus pesante, chaque jour aussi plus forte et plus indissoluble. La princesse demeure une semaine

  1. Lettres inédites du prince de Condé à la princesse de Monaco.
  2. 4 août 1786.
  3. Propriété de la princesse de Monaco.