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mouvement contre l’armée prussienne. Sa belle combinaison tactique menaçait d’avorter. Il ne se flattait pas, comme on l’en a critiqué à tort, de gagner deux batailles le même jour. L’important pour lui, ce n’était pas de remporter une demi-victoire sur Blücher et une demi-victoire sur Wellington ; c’était de contenir les Anglais et d’exterminer l’armée prussienne. L’Empereur pensa que, pour contenir les Anglais, il suffirait à Ney du seul corps de Reille, et que, pour tourner la droite de Blücher, il suffirait du seul corps de d’Erlon. Il résolut de faire exécuter par ce général le mouvement précédemment prescrit à Ney et dont il attendait de si grands résultats. Il n’y avait point un instant à perdre. Il envoya directement au comte d’Erlon l’ordre de se porter avec son corps d’armée sur les hauteurs de Saint-Amand et de fondre sur Ligny. L’officier chargé de porter cet ordre devait aussi le communiquer au maréchal Ney.

En même temps, l’Empereur, voulant avoir toutes ses forces dans la main, fit écrire à Lobau, maintenu provisoirement à Charleroi, de marcher sur Fleurus.


VI

La bataille était engagée. Vers 3 heures, trois coups de canon tirés à intervalles égaux par une batterie de la garde ont donné le signal de l’attaque. Sans daigner préparer l’assaut par son artillerie, Vandamme lance contre Saint-Amand la division Lefol. Sur l’air de la Victoire en chantant, joué par la musique du 23e, la division s’avance, formée en trois colonnes, précédées chacune de nombreux tirailleurs. Devant le front ennemi, le terrain, dépourvu de tout arbre, de toute haie, forme une nappe de blés mûrissans, hauts déjà de trois à quatre pieds. La marche y est lente et pénible, et si les épis cachent à peu près les tirailleurs, les colonnes en mouvement y sont parfaitement visibles. C’est sur elles que les batteries dirigent leur tir ; des boulets enlèvent des files de huit hommes. Les Prussiens, eux, sont à couvert, embusqués dans les maisons et derrière les remblais de terre et les haies vives qui enclosent les vergers. A cinquante mètres du village, les soldats de Lefol bondissent jusqu’aux premières clôtures. Les décharges à bout portant n’arrêtent point leur élan ; en moins d’un quart d’heure de furieux combat, l’ennemi est chassé des vergers, des maisons, du cimetière, de