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l’idée jusqu’à celle d’une sorte d’anéantissement général, d’incendie de Moscou social et économique. Organiser la guerre, faire des révoltés, tout est là ! Et l’on écrase l’ouvrier lui-même pour les besoins du combat, car son exaspération, presque infailliblement, se tournera encore en révolte. C’est le nihilisme industriel, le suicide préféré à la soumission, et tout accord, toute collaboration quelconque, entre un patron, quel qu’il soit, et des ouvriers imbus de ces idées, sont évidemment impossibles. On peut fort bien comprendre qu’une classe mécontente cherche sa délivrance où elle la sent, mais on voit aussi le genre d’ « associé » qu’avait trouvé M. Rességuier, et comment une guerre mémorable devait éclater entre eux. La révolte pour la révolte, et faire des révoltés pour en faire, retenons bien encore une fois cet esprit-là. Il nous donne la clé de bien des choses, et de bien des choses, notamment, que nous verrons à Albi.


VII

La Verrerie ouvrière est donc à l’entrée d’Albi, moitié dans le faubourg, moitié dans la campagne, et sur la rive basse du Tarn, que dominent, de la rive haute, la ville en promontoire et la cathédrale. Entourée d’un terrain vaste, avec ses bâtimens de brique neuve, l’usine, entre le ciel et la plaine, a quelque chose d’aussi largement aéré et libre que la Verrerie Sainte-Clotilde, vue de la rue de Carmaux, apparaît resserrée et noire. Un espace de plusieurs hectares s’étend devant vous. A droite, une grande mare, et comme un morceau d’étang ; à gauche, une longue bâtisse en forme de galerie, couverte d’une série symétrique de toits vitrés ; au fond, à l’extrémité du terrain, le bâtiment des fours, avec une partie de sa toiture encore à l’état de carcasse, et, devant vous, au centre, la haute cheminée de brique, au milieu d’innombrables pyramides de bouteilles rangées partout en plein vent, à perte de vue, comme des régimens massés en colonnes et en carrés sur un champ de concentration. Telle est, à l’arrivée, la physionomie de la Verrerie ouvrière, réduite à ses lignes élémentaires. L’administration comprend un ouvrier-directeur, un comptable et six administrateurs-ouvriers. Le directeur est logé, et touche six francs par jour ; le comptable est traité de la même manière ; mais les administrateurs, en tant qu’administrateurs, ne reçoivent pas d’appointemens. Une fois leurs fonctions administratives remplies,