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ne nous demandaient point d’y prendre part ; quelquefois seulement, les plus hardis demandaient poliment à nos soldats la permission de boire de leur eau. Leur mise est simple, et, depuis son origine, je doute que les modes y aient apporté leurs changemens : une espèce de chemise sac, sans manches, sans col et sans ouvertures, quelquefois une culotte large et courte, toujours un burnous et une calotte sur le sommet de la tête ; voilà l’accoutrement de l’habitant des montagnes, et c’était probablement celui des habitans de la vieille Numidie. Rarement le Kabyle porte une chaussure ; quelques lions aux pieds délicats se permettent une espèce de large sandale en peau de chèvre non tannée. Sans être très sales, les Kabyles le paraissent, ce qui provient, et de la couleur primitive de leurs vêtemens, qui est blanche, et du hâle qui couvre les parties nues de leurs corps. Ce qu’ils chérissent le plus, c’est leurs armes, qui se composent d’un long fusil, souvent de fabrique espagnole, et d’un yatagan assez mauvais et très incommode. Ils en ont un grand soin, ne le quittent jamais, et il faudrait que le besoin d’argent se fît vivement sentir pour qu’ils se décident à s’en séparer.

En parlant de Cherchell, notre petite colonne a pris une direction perpendiculaire à la mer et est entrée de suite dans les montagnes. Après avoir suivi cette direction pendant quatre heures, elle a, par un changement de direction à droite, remonté vers l’ouest en coupant les crêtes des chaînons perpendiculaires à la mer. Ces monts, immenses contreforts du Petit Atlas, sont séparés entre eux par de nombreuses et profondes vallées. Formés d’énormes amas de schistes et d’ardoises, ils présentent un désordre que je n’ai jamais rencontré dans les hautes montagnes de la France. Ils revêtent toutes les formes, cônes, dômes, ballons ; rarement rocheux, ils sont séparés par de grands ravins aux flancs déchirés et rapides. Les vallées sont toutes transversales dans cette partie des montagnes de l’Afrique. Généralement toutes les montagnes secondaires et les sahels que j’ai vus dans la province d’Alger ont un aspect triste. Au lieu de cette végétation luxuriante que l’on rencontre dans la chaîne du Petit Atlas, on n’y voit que des broussailles et quelques bouquets de bois dont l’essence est de chênes verts, de pins, de lentisques et de myrtes. Ces bois n’étant point exploités, l’arbre meurt et pourrit là où il a pris naissance. Plus tard, en admettant l’extension de la colonisation, il nous sera difficile de tirer un parti avantageux de ces montagnes jadis