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d’écrire à profusion des articles de journaux, d’ouvrir un vaste pétitionnement, de déchaîner une agitation désordonnée, ils auraient pu choisir un avocat à la Cour de cassation et se décharger sur lui de la procédure à suivre pour aboutir à la revision. Cette voie leur était ouverte ; elle l’est encore aujourd’hui. Pourquoi ne l’ont-ils pas prise ? C’est la question que tout le monde se pose, et à laquelle personne ne peut répondre. Certes, nous comprenons qu’on s’adresse à l’opinion dans une affaire de ce genre ; on en a besoin, on ne peut pas s’en passer, il faut tâcher de l’avoir avec soi ; mais c’est une mauvaise manière de se l’assurer que de la violenter. En toutes choses, la mesure est nécessaire ; il en fallait surtout dans celle-là ; il en fallait plus encore après l’échec qu’on venait d’éprouver. Mais nous parlons de mesure, et c’est M. Emile Zola qui est entré en scène !

M. Zola est traduit en cour d’assises, ce qui semblerait nous obliger envers lui à ces ménagemens qu’il a si peu gardés envers les autres. Toutefois, comme il est un inculpé volontaire, et qu’il a lui-même recherché et provoqué le procès qui lui est fait, nous ne lui devons, en somme, que la vérité. Ayant donc terminé l’interminable histoire des Rougon-Macquart, il cherchait sans doute quelque autre chose à faire, lorsque la question Dreyfus s’est posée de nouveau. Il en a été frappé comme tout le monde ; sa curiosité en a été éveillée comme celle de tant d’autres ; il s’y est appliqué avec la puissance de grossissement, ou même d’épaississement qui est en lui. Ce qu’il y avait de vague dans cette affaire a sollicité fortement son imagination. Mais il a vu les choses à sa manière, qui n’est pas celle d’un juriste, ni d’un critique, ni d’un philosophe, ni d’un historien, et, fidèle aux habitudes de son esprit, il a distingué tout de suite et classé ses personnages en deux catégories distinctes : ici, les bons et les vertueux, ses semblables ; là, ceux qui étaient tout le contraire. Ces hommes m’appartiennent, disait-il, dans un de ses premiers articles de journal. Il en a effectivement pris possession, et il en a disposé comme en vertu du droit de conquête. Les avait-il, au préalable, étudiés objectivement avec toute l’impartialité nécessaire ? Les avait-il bien vus et bien compris ? S’était-il exactement rendu compte des ressorts moraux qui les faisaient agir ? Il le croit, mais nous en doutons. Dans Rome ou dans Lourdes, on peut se contenter d’à peu près à cet égard, et certains procédés de facture, aidés par une rhétorique boursouflée, peuvent réussir à masquer les insuffisances de l’observation première : il faut des procédés plus sûrs et une méthode plus éprouvée lorsqu’on se jette dans l’action, en pleine vie réelle, et qu’on entre avec fracas, au moment