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VII

Après le coup d’État, toutes considérations théoriques écartées, le parti que les circonstances conseillaient au Prince était de maintenir la république et de n’accorder au désir de la stabilité que la transformation de sa présidence décennale en présidence viagère. Et il y avait de cela plusieurs raisons importantes.

La destruction du parlementarisme était une des tâches auxquelles Louis-Napoléon se croyait prédestiné.

Ce système, si beau en théorie, l’est moins dans la pratique, et malgré les services qu’il a rendus et que, faute de mieux, il rend encore, il est sujet à de bien sérieuses critiques. On n’est ni un imbécile, ni un cynique, ni un malfaiteur parce qu’on n’a pas la superstition d’un tel régime ou même parce qu’on projette de l’abolir ; mais on est tout à fait inexpérimenté si l’on ne sait pas que la seule manière efficace de s’en débarrasser est de le rendre inutile, et qu’il ne peut être rendu inutile que par des institutions véritablement républicaines. Sous la monarchie, il est la forme nécessaire, inévitable, de cette liberté politique dont les peuples modernes ne consentent pas longtemps à rester déshérités. Avec un chef d’État responsable, tel qu’il doit être dans une république, le système parlementaire n’est qu’une superfétation anarchique ; il est au contraire une nécessité de la civilisation et du progrès sous un chef d’État irresponsable.

Le parlementarisme avait été tué par la constitution républicaine du 14 janvier 1852 : il revivrait comme un idéal et bientôt comme une nécessité dès que l’Empire aurait été restauré. Le Prince, on le savait, annonçait l’intention, s’il se faisait héréditaire, de demeurer responsable. Précaution inutile, car hérédité et responsabilité sont deux termes inconciliables, à moins d’admettre les révolutions comme une institution normale. Un empereur peut s’offrir à la responsabilité ; constitutionnellement il lui échappe, et après un temps plus ou moins long, il est acculé à cette alternative : s’il refuse de couronner son édifice par la liberté, de franchir le pas périlleux qui sépare le régime autoritaire du despotisme ; s’il tient ses promesses libérales, de glisser insensiblement du pouvoir personnel au régime parlementaire. Voilà la première raison de ne pas renverser la république. Il en était une seconde encore plus sérieuse.