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avec la reine Hortense ; dès qu’il eut repris sa liberté, il devint un des visiteurs les plus assidus d’Arenenberg. Sous un nom d’emprunt, il rédigea, dans la Biographie universelle de Jouy, une vie remarquée de la reine, qu’on attribua à Norvins. Un hasard révéla la vérité à l’abbé Bertrand. Hortense, reconnaissante, le remercia en lui donnant la montre portée par Joséphine à sa mort.

Quoique ayant conservé un profond souvenir de sa femme, dont il célébrait sans cesse les vertus, dont il gardait des cheveux à l’épingle de sa cravate, il avait eu mainte aventure galante. Il lui en était resté l’indulgence facile pour celles des autres et le goût des propos salés. Sa conversation joviale, spirituelle, abondait en saillies souvent risquées. Il n’était léger qu’en cela. Dans son emploi, il se montrait sérieux, imperturbable, sans calcul, sans duplicité, sans embarras, et sans intrigues, ne cherchant pas à se mêler de ce qui ne le regardait pas, à se glisser ; d’une inviolable discrétion, n’abusant pas de ses commodités de confiance et d’accès.

L’Empereur ne pouvait se donner un chef de cabinet plus sûr, plus attaché, plus intelligent. C’était un lettré érudit et fin, sachant par cœur Virgile, familiarisé avec Tacite et Bossuet. Il avait la plume, comme on disait dans l’ancienne monarchie, c’est-à-dire qu’il préparait toutes les lettres que l’Empereur devait écrire, avec cette différence, toutefois, que celui qui, dans l’ancienne monarchie, avait la plume, espèce de faussaire autorisé, s’appliquait à contrefaire l’écriture de son maître afin qu’on pût croire calligraphié par lui ce qui l’avait été par son secrétaire. On a raconté que Mocquard composait les proclamations du Président et de l’Empereur. Le Prince, écrivain original et exercé, aimant à écrire, n’en était pas réduit à ce qu’on écrivît pour lui. Le rôle de Mocquard se bornait à une révision littéraire et grammaticale à laquelle l’Empereur se montrait docile. Néanmoins, ses messages, après la mort de son secrétaire, ne sont pas inférieurs aux précédens.

Le sous-secrétaire Franceschini-Pietri, jeune Corse très distingué, était fin, sensé, aimable, scrupuleusement fidèle et secret. A le voir souriant, on n’aurait pas soupçonné qu’il savait et entendait tant de choses graves. L’Empereur l’appelait quand il voulait dicter. Il s’asseyait devant le bureau, en face de lui, et il écrivait de son écriture nette, rapide, élégante.

Autour du cabinet gravitaient dans la familiarité du Prince