Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/808

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit qu’un inspecteur général et que je ne puisse avancer qui bon me semble, pourvu qu’il soit dans les conditions voulues. Encore si de cette manière le droit et la justice prévalaient mieux, mais il y a toujours une part pour la faveur ; seulement, au lieu d’être la faveur du souverain qui prévaut, c’est celle du général inspecteur, ou bien celle du général en chef, ou bien celle du ministre, ou enfin celle de n’importe qui. »

L’Empereur est tout entier dans cette intéressante lettre. Persigny et même Morny perdirent peu à peu leur crédit pour n’avoir pas assez tu leur part en certaines mesures. L’Empereur en vint à dire : « Je traîne deux boulets : Persigny et Morny. » Rouher se maintint par l’adresse avec laquelle il fit le maître sans le paraître. Au lendemain du jour où l’Empereur lui envoya publiquement une plaque de diamans, le prince Napoléon se récriait sur cette faveur exceptionnelle : « Ah ! s’il avait eu ton caractère, je ne la lui aurais pas envoyée, mais je suis sûr que lui ne me gênera pas. » Aussi ai-je porté un coup sensible au ministre tout-puissant lorsque, démasquant la réalité, je l’ai appelé dans l’un de mes discours : le Vice-Empereur.

Dans sa conception du pouvoir, l’Empereur ne s’était pas assez rendu compte qu’un souverain dont le temps est dévoré par les exigences de la représentation officielle, travaillât-il au-delà des forces humaines, ne saurait suffire seul à l’écrasante tâche de gouverner un État de premier ordre. Sans de grands ministres, il n’y a jamais eu de grand règne. Conçoit-on Henri IV sans Sully ? Tant que Louis XIV eut des Colbert, des Louvois, des Lionne, ses affaires prospérèrent ; elles déclinèrent dès qu’il fut réduit à lui-même ou à des créatures telles que Chamillart. Qu’aurait fait Guillaume de Prusse sans Bismarck et Roon ? et Victor-Emmanuel, sans d’Azeglio, La Marmora, Rattazzi et Cavour ? « Si le roi veut faire tout, écrivait Cavour, il périra[1]. « 


XIV

Dans ce gouvernement, où l’Empereur voulait faire tout, sa principale qualité était l’audace. « Qui ne risque rien n’a rien », m’a-t-il dit en une circonstance grave de sa politique intérieure. Au maréchal Vaillant qui lui représentait les périls de l’offensive,

  1. Se il re vuol far tutto, andrà in rovina.