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même rétrograde, et souffre de la concurrence du Japon et des États-Unis de l’Amérique du Nord.

Il est aisé de lui répondre qu’alors même que les faits ainsi avancés seraient exacts, il y aurait lieu de discuter les conclusions à en tirer. En tout cas, il est impossible d’enrayer un mouvement comme celui qui se produit en Allemagne depuis vingt-cinq ans et qui a certainement contribué à enrichir le pays beaucoup plus vite que ne l’eût fait un simple développement agricole ; celui-ci peut s’effectuer et s’effectue parallèlement au progrès industriel ; en ce moment même, se poursuit dans l’Allemagne orientale un travail de morcellement des grandes propriétés qui a pour effet de mettre les terres aux mains de paysans laborieux qui en tirent un revenu satisfaisant. Le monde marche, et le mouvement des échanges entre peuples, bien loin de s’arrêter ou de diminuer, a toute chance de s’accroître sans cesse ; la concurrence des peuples jaunes est beaucoup moins effroyable qu’on ne se l’imagine : dès qu’ils entrent en contact avec notre civilisation, ils lui empruntent ses besoins : le Japonais demande aujourd’hui de plus hauts salaires qu’il y a dix ans ; il s’est habitué à manger de la viande pendant la guerre chinoise, et de ce chef seul élève déjà notablement ses exigences. Enfin, et par-dessus tout, l’augmentation même de la population rend plus précieuse la possession du sol, puisque c’est la seule partie de sa richesse que l’espèce humaine ne puisse augmenter indéfiniment.

Il ne paraît donc pas que l’Allemagne, non plus qu’aucun autre État civilisé, placé dans des conditions comparables, doive s’inquiéter d’une expansion industrielle qui est la loi du progrès moderne. Cette expansion n’est inconciliable ni avec le légitime souci de la santé publique, qui doit être l’un des premiers soins de l’homme d’État, ni avec le maintien en bon état de production de toutes les parcelles du territoire national. Il y a peu de terres en jachère dans l’Europe centrale, et les méthodes de culture y sont en progrès : les inquiétudes de l’école Wagner-Oldenberg ne se justifieraient que si l’agriculture périclitait par suite de la désertion des campagnes, et qu’il y eût une réelle insuffisance de bras pour les travaux agricoles ou forestiers. D’autre part, les perfectionnemens incessans de la mécanique font que l’effort musculaire demandé à l’ouvrier diminue, en même temps que son salaire augmente. La science n’a pas encore réussi à supprimer les inconvéniens et les dangers de certaines fabrications ;