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blonds[1], elle humanise pour les nouveaux venus sa hauteur un peu fière, gagne par ses prévenances les cœurs les plus rebelles, sacrifie généreusement, au profit de la cause, ses joyaux et son argenterie. « C’est Mme la princesse Catherine », murmure-t-on tout bas quand elle passe, et l’on sourit avec mystère[2]. Mais c’est à la princesse Louise, — « la belle Condé », comme on l’appelle, — que vont de préférence la sympathie émue et la reconnaissante admiration de la foule. Dans cette cohue bigarrée, parmi ces soldats de toutes armes, de tout âge, de tout rang, enfiévrés par la soif de vengeance et l’espoir des combats, elle passe chaste, sereine, compatissante et douce, s’adressant avec prédilection aux plus pauvres, aux plus humbles, aux plus ignorés, travaillant de ses mains délicates pour leur fournir des vêtemens et soulager leur misère, vivant symbole du dévouement et de la charité. Tous la connaissent, tous l’aiment, tous regardent sa présence comme un inestimable bienfait. Ce fut dans tout le camp une tristesse générale, quand l’entrée en campagne et les premiers revers de l’armée condéenne contraignirent « l’aumônière de l’exil » à s’éloigner de son père, de son frère bien-aimé, de ce « petit d’Enghien » qu’elle chérissait d’une tendresse maternelle, pour courir, seule et sans appui, dans des contrées lointaines, les aventures d’une fuite affolée devant les armées triomphantes de la Révolution.

« Nous ne savons ce que ma tante est devenue, écrit le duc d’Enghien en novembre 1792 ; elle a été obligée de quitter Francfort à l’approche de Custine, et s’est ensuite retirée à Fulde, Würtzbourg, Nuremberg, chassée de partout comme pouvant par sa présence attirer l’ennemi. » Rien de plus lamentable en effet que la longue odyssée de l’infortunée princesse, au cours des succès de la République contre l’Europe coalisée. En Suisse, en Allemagne, partout où elle se réfugie, les villes terrorisées lui ferment impitoyablement leurs portes ; le seul nom de Condé équivaut à un arrêt d’exil ; chaque victoire des « patriotes » est le signal d’une proscription nouvelle. Aux angoisses de cette poursuite s’ajoute un grave tourment : le manque d’argent, la crainte de mourir de faim. Les ressources emportées par le prince de Condé dans la hâte du départ de France s’étaient vite épuisées ; les quelques fonds de réserve déposés chez les banquiers de Francfort

  1. Ainsi la dépeint Gœthe, qui ne la vit qu’à cette époque.
  2. Voir Histoire de l’armée de Condé, par M. René Bittard des Portes.