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sévère, ses propos plus mordans ; à sa parfaite droiture s’ajoute une pointe d’intolérance, et dans son cœur désenchanté se glisse à son insu quelque mépris des hommes. Ce pessimisme s’accentue dans sa nouvelle retraite, où, — si le monde n’entre guère, — les bruits du dehors se répercutent et se grossissent, et qu’elle appelle justement « le réceptacle et l’écho de tous les bavardages de l’Europe ». Les lettres qu’elle adresse à ses proches portent l’empreinte de cette disposition ; elles jugent les événemens et les puissances du jour avec une liberté piquante, et parfois un peu rude. La petite cour d’Hartwell, où Louis XVIII poursuit « une vaine ombre de règne », n’inspire à la recluse qu’une assez dédaigneuse compassion. Dans les tenaces espoirs des fidèles de la royauté, » chaque jour d’ailleurs moins nombreux », elle ne veut voir que de puériles chimères, et s’irrite de leur longue confiance : « Ce que j’en entends est à tuer ! s’écrie-t-elle. Comment est-il possible qu’il y ait des gens qui se flattent encore sur le rétablissement de la maison de Bourbon ?... Je la crois finie, comme tant d’autres ont fini depuis que le monde est monde. »

La réconciliation des d’Orléans avec le chef de la maison de France la laisse froide, sceptique, incrédule : « Il est des noms, dit-elle, qui commanderont toujours prudence et circonspection envers les individus qui les portent... Malgré tous les pardons du monde, je ne me soucierais pas de ce sang-là ! » Et quand l’aîné d’entre eux, le futur roi Louis-Philippe, obtient la main de la princesse des Deux-Siciles[1], elle accueille la nouvelle avec une surprise ironique : « Je n’oublierai jamais combien ma pauvre Lisette m’amusait à Fribourg, et combien je la trouvais de bon sens, quand elle me répétait sans cesse : « Mais, Madame, est-ce qu’on laissera ces frères-là se marier ? Mais, Madame, il faut les empêcher d’avoir des enfans ! Mais, Madame, il n’est pas possible qu’on laisse cette race-là se perpétuer ! » Malheureusement tout le monde ne pense pas aussi bien que Lisette[2]. »

  1. La princesse Marie-Amélie.
  2. La princesse Louise, dans son antipathie contre les d’Orléans, fait exception en faveur de la Duchesse douairière, née princesse de Penthièvre, veuve de Philippe-Égalité, qu’elle aimait, au contraire, tendrement. Dans une de ses lettres, elle en cite le trait suivant : « Peu de jours avant sa mort, travaillant à son testament, et ayant témoigné dans un article qu’elle désirait n’être point portée à son enterrement par ces gens qu’on appelle croque-morts, elle dit à quelqu’un : « Mais cela ne leur fera-t-il point de peine ? J’espère que non, puisque j’ordonne qu’on les paie également. » Il faut avouer que cela est parfaitement bon ! » (Lettre à Mgr d’Astros, 1821.)