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et le monisme nous représentent comme si sombre et si désespérant. »

Il pouvait aller plus loin ; — et il avait le droit de dire que, si la doctrine de l’évolution n’a rien qui contredit l’enseignement du texte sacré, c’est qu’elle en sort. N’est-ce pas en effet Renan, dans son Histoire du Peuple d’Israël, qui a parlé du « puissant esprit évolutionniste des Darwin inconnus qui ont rédigé la Genèse » ? et Hæckel, dans son Histoire naturelle de la Création, n’avait-il pas écrit, dix ou douze ans auparavant : « Dans l’hypothèse mosaïque de la création, deux des plus importantes propositions fondamentales de la théorie évolutive de la création se montrent à nous avec une clarté et une simplicité surprenantes : ce sont l’idée de la division du travail ou de la différenciation, et l’idée du développement progressif, du perfectionnement ? » Et il ajoute, à la vérité, que « deux erreurs fondamentales sont contenues dans l’hypothèse, d’abord l’erreur géocentrique, qui fait de la terre le centre du monde, et l’erreur anthropocentrique, qui considère l’homme comme le but suprême et voulu de la création. » Mais que l’homme soit ou ne soit pas « le but suprême de la création » et la terre « le centre du monde, » qu’est-ce que cela fait à la doctrine de l’évolution ? Rien du tout, si, d’une part, la rectification de l’erreur géocentrique ne saurait avoir d’effet que de nous convaincre plus profondément de notre petitesse ou de notre néant ; et, d’autre part, s’il est évident que, depuis qu’il se connaît, l’homme a le droit de se considérer comme le terme actuel ou le « couronnement » de la création. Et cette vérité de fait n’en subsiste pas moins que, si l’idée d’une « différenciation graduelle de la matière primitivement simple » semble avoir quelque part sa première origine, c’est dans le récit de la Genèse.

Et on peut dire encore quelque chose de plus, et si j’ai tâché de montrer ici même ce que la morale pouvait emprunter d’aide à la doctrine évolutive[1], on pourrait montrer que cette même doctrine n’a pas cessé d’animer l’enseignement de la théologie, ou plutôt, on l’a montré, dans un livre célèbre ; et celui qui l’a montré, c’était le futur cardinal Newman ; et le livre où il l’a montré c’est le livre qu’il a intitulé : Essai sur le développement de la doctrine chrétienne ou Motifs de retour à l’Église catholique. On y lit les phrases suivantes : « L’unité dans le type est certainement

  1. Voyez dans la Revue du 15 mai 1895 : la Moralité de la Doctrine évolutive.