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les soldats dispersés dans les chaumières couchent côte à côte avec les habitans,

— Un officier français, frères... Bien content d’être au milieu de vous !

L’éfreitor (brigadier) qui m’a prêté sa cuiller de bois montre la salle réservée pour les rassemblemens de la troupe. Les hommes déposent ici leurs coffrets ; les ouvriers travaillent dans les angles ; les fourriers écrivent devant les fenêtres. Frappante analogie des mots ! Il appelle ce lieu sobor, le temple ; le village ne possédant pas d’autre église, les gens fréquentent du moins celle-ci ; entrant par la porte ouverte à toute heure, ils viennent saluer les images militaires, et jetant des kopeks dans la tirelire, aident à l’entretien des lampes qui brûlent devant ce semblant d’iconostase.


V

Depuis plus d’une heure cet agent de police assis sur le siège me cachait le paysage, et j’étais las de son des affaissé, de sa capote graisseuse et de la lanière jaune de son revolver. La voiture s’arrêtant enfin sur le plateau au delà d’Ostrog, il saute à terre, montre sa trogne ravagée, ouvre la portière avec déférence.

— Le 126e régiment Rylski est rassemblé sous les armes... rapporte le colonel qui s’avance seul à la rencontre du général et qui le salue du sabre. Il dit l’effectif de la troupe, le nombre des chevaux et des fourgons.

La formation prise est l’ordre de réserve, une disposition simple, élastique, propre aux mouvemens par masses, propre au déploiement, et que consacrera bientôt le nouveau règlement d’infanterie. Les quatre bataillons que séparent des espaces égaux dans la largeur et dans la profondeur occupent les sommets d’un carré, et la voilà enfin, avec ses bastions mouvans, la forteresse russe dont chaque pierre est une poitrine d’homme. La musique joue un air léger et caressant que le vent rabat sur la troupe immobile et qui semble en exhaler l’âme obéissante ; les mains sont serrées sur les armes ; comme des tournesols virent au soleil, ces larges figures pivotent lentement sur ces épaules ; les yeux s’attachent aux yeux du général.

— Le bataillon se présente bien... prononce-t-il ; et tombant sur cette surface sonore, sa parole y rebondit, son éloge y déchaîne le remercîment unanime poussé à pleins poumons :