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se croire vainqueur, et les persuadait l’un et l’autre que le terme d’une affaire est au delà de l’ennemi. Dans les combats modernes, engagés à grande distance et soutenus d’abord par le feu, ces étreintes corps à corps n’ont plus une importance exclusive ; mais elles se rapportent toujours à l’acte décisif du combat, à la période aiguë du délire offensif, à cet extrême instant où l’homme, face à face avec la mort, n’est plus qu’un animal lâché dans le terrible et dans le fatal. Son action alors, toute physique, pareille à la décharge électrique d’un accumulateur, ne dépend que de ses provisions mentales et des habitudes antérieurement classées dans son cerveau. De là l’opportunité d’un dressage qui l’habituera à supporter l’impression du choc, à marcher contre un assaut, à jeter la mort au-devant de la mort.

Ce principe une fois justifié se fractionne dans la pratique en autant d’exemples qu’en peuvent fournir les trois armes combinées deux à deux. Il s’agit ce matin de l’attaque traversante infanterie contre cavalerie. Face à chaque escadron, un bataillon s’est formé en colonne par quatre. Les files des cavaliers, largement ouvertes, offrent des couloirs où les fantassins pénètrent ; puis leçon spéciale pour les chevaux qui s’inquiètent et mâchent nerveusement le mors, maniement d’armes, batterie de tambours, sonnerie de clairons.

— Caresse, frère, caresse,... dit le général ; trois fois il fait recommencer cette approche selon la progression naturelle des allures, du pas au trot et du trot au galop. C’est à la fin une élégante figure de carrousel : les chevaliers abordant les hommes de pied, ceux-ci donnent une salve dans l’instant du croisement.

Le général fait sonner « merci » ; la troupe répond « R-r-a... » et c’est amusant, ce gloussement qui succède au tara ta de la trompette. On se dispose maintenant pour les exercices spéciaux de taille au sabre dans lesquels ces Caucasiens sont passés maîtres ; ils savent, dans une course au galop, arrêter d’un seul coup, sans une éclaboussure, la chute d’un filet d’eau ; ils savent trancher une branche comme au couteau, sans déchirer l’écorce. La condition mathématique de ces coups heureux est toute simple : que le plan du tranchant coïncide avec le plan décrit dans l’air. Mais ici comme ailleurs le passage de l’abstrait au concret est malaisé.

On a posé sur une piste des billots plantés de verges verticales ; le cosaque entre en lice à sa pleine allure de carrière ; son cheval, les rênes sur le cou, tangue et roule ; lui, déploie le