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eu la primeur, ni les auteurs eux-mêmes. Ce roman, à vrai dire, est aussi peu que possible un roman. On y a réduit au minimum l’affabulation romanesque. On a eu raison, puisqu’il nous semble que ce minimum est encore trop. Le commandant Du Breuil, étant attaché à l’état-major de l’armée de Metz, est admirablement placé pour suivre les opérations. Ce que nous demandons, c’est à les suivre avec lui. Si d’ailleurs cet officier retrouve dans ses souvenirs un doux visage de femme, c’est affaire à lui ; nous, à travers ces scènes de deuil, nous n’apercevons que le visage baigné de larmes de la France. Si une jeune fille se fiance à Du Breuil, ayant senti la pitié que lui inspire le vaincu éveiller l’amour dans son cœur, nous trouvons que cette petite fait bien ; et une fois de plus nous bénissons la femme dans son rôle de consolatrice. Mais, en vérité, quand nos yeux sont fixés sur le spectacle de l’insouciance ou de l’impéritie des chefs de notre armée, nous ne songeons guère à les détourner vers l’image gracieuse de la petite Anine Bersheim. Et il y a une certaine bague d’opale dont il eût fallu se hâter de jeter au détour du premier chemin le symbolisme facile. Je sais bien que les âmes les plus viriles ont de ces puérilités de superstition. Mais quand l’effet sûr de causes multiples et lointaines amène la France au bord de l’abîme, quelle mesquinerie de reporter notre regard vers le chatoiement ironique de cette pierre méchante ! Au surplus, ce ne sont, comme on voit, que de minces réserves, et nous avons au contraire à louer MM. Paul et Victor Margueritte pour l’austérité de leur récit. Ils ont écarté toute fausse rhétorique, évité le danger de la déclamation qui les guettait à tous les coins de leur sujet. Ils ont justement pensé que ce n’était point ici un sujet pareil aux autres et où il y eût lieu de faire preuve de virtuosité. Ils se sont interdit les morceaux de bravoure. Les quelques « épisodes », une charge de cavalerie, la mort de Lacoste tué par des Français, l’acte héroïque de Du Breuil ramenant des fuyards à l’attaque, d’autres encore, sont rapidement enlevés, indiqués plutôt que traités. Dans cette série d’engagemens, de combats, de batailles, il n’y a pas une description de bataille. Les auteurs se sont astreints à ne nous donner que des visions fragmentaires. Ils ont procédé par accumulation de petits faits, de petits détails et de petites phrases. Ils se sont conformés avec conscience à l’esthétique réaliste. Ils ont poussé la conscience jusqu’à l’excès. De là une certaine impression de confusion, tout à la fois d’enchevêtrement et d’éparpillement. C’est le résultat d’une erreur qui pèse sur notre littérature depuis le jour où Stendhal s’est avisé de nous conter ce que Fabrice a vu de la bataille de Waterloo. Ce jour-là, — ce n’est pas le seul, — Stendhal