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cédaient, et quand se déroulait le triste cortège d’Idoménée, quand Mme Viardot ou Mme Krauss était Orphée, Alceste, on se croyait au Louvre, parmi les marbres, et ils chantaient. Les airs les plus classiques, les plus sévères, ceux de la Comtesse ou de doña Elvire, prenaient un relief et une valeur inconnus. Certains fragmens, qu’on n’entendait pas ailleurs, nous étaient devenus presque sacrés. Nous aimions pour sa grâce vigilante et protectrice un chœur de Blanche de Provence : Dors, noble enfant ; un chœur de Paulus, que les violoncelles accompagnent, pour sa morne sérénité. La longue habitude et le charme des souvenirs, l’atmosphère environnante, et les conditions ou les convenances locales, n’avaient peut-être pas, dans notre tendresse pour tant d’œuvres familières et chéries, moins de part que leur propre beauté.

Mais, sur le seuil qui ne sera plus franchi, c’est à Beethoven surtout qu’il faut dire : « Maître, nous avons aimé la splendeur de votre maison et le lieu où habitait votre gloire. » Cette gloire, j’ai peur qu’elle ne nous soit plus jamais sensible avec cet éclat et ce rayonnement. Aucun plaisir musical n’était supérieur, aucun peut-être ne sera plus égal à l’audition d’une symphonie de Beethoven au Conservatoire. Qu’elle commençât par un auguste prologue (symphonie en la), ou bien (symphonie Pastorale) par une exposition toute simple, presque naïve ; que ce fût avec mystère (la neuvième), ou avec passion (l’Ut mineur), comme elle commençait, la symphonie ! À peine avaient sonné les trois premiers accords de l’Héroïque, comme on se sentait parti ! Quel espace s’ouvrait, et pour quelle course I L’exécution, comme l’œuvre même, n’avait point de hasards, ou plutôt tous les hasards en étaient heureux. Pas un obstacle qui ne fût franchi. Et avec quelle grâce, quelle audace aisée ! Peu à peu, de l’immense création sonore toutes les beautés apparaissaient. Quelle profondeur alors avait le mystère, et l’évidence, quelle splendeur ! Des effets les plus puissans la force n’était pas brutale, et jamais des plus délicates nuances une seule n’était trahie ou perdue. Où coula d’un flot plus égal, plus pur et plus moiré de lumière, le ruisseau de la symphonie Pastorale ? Où donc éclata l’orage, où tomba la foudre avec un fracas plus terrible et pourtant plus harmonieux ? Où les douleurs d’un Beethoven parurent-elles aussi tragiques, aussi rudes ses combats, aussi triomphantes ses victoires ? Dans cette atmosphère privilégiée on respirait tour à tour les chauds effluves de la vie et le souffle même de la mort, et quand la marche de l’Héroïque, quand le scherzo de l’Ut mineur laissaient tomber et s’éteindre leurs dernières notes funèbres, la petite salle, si