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deviennent incultes, abandonnant les champs qui nourrissaient leurs ancêtres, pour venir battre le pavé de Paris, à la recherche d’une place. Les expositions, les trains de plaisir, ont favorisé cette émigration des campagnes et cet entassement des ouvriers à Paris. Au point de vue économique, les expositions peuvent présenter des avantages, ce dont je ne suis pas certain, mais au point de vue moral, elles présentent des dangers, des inconvéniens considérables dont je suis très sûr ; elles augmentent le nombre des déclassés, des prostituées, des ouvriers sans ouvrage en amenant à Paris des jeunes gens, des jeunes filles qui veulent y rester et qui tournent mal. A chaque train de plaisir, on voit arriver des provinciaux qui croient trouver une bonne place en descendant de wagon. Ils viennent pleins d’illusions, avec les petites économies qu’ils ont faites, avec une petite somme d’argent que leurs parens leur ont donnée ou empruntée pour eux. Mais si quelques-uns trouvent la place convoitée, combien restent sur le pavé sans la trouver ! Leurs modestes ressources sont vite épuisées. Les parens écrivent alors à leur fils ou à leur fille : « Reviens au pays, reviens auprès de nous ; quitte ce Paris maudit, où tu souffres. » Mais l’enfant n’ose pas toujours suivre ce conseil ; il craint les reproches de ses parens, surtout les railleries de ses voisins, de ses camarades ; il reste à Paris, retenu par l’amour-propre ; et un jour les parens sont informés que leur fils, que leur fille, qui auraient été heureux au village, se sont asphyxiés ou se sont jetés dans la Seine.


II

La misère et le suicide ne font pas seulement des victimes parmi les ouvriers. J’ai déjà dit combien est misérable à Paris la situation des petits employés, des courtiers et représentans de commerce, combien sont fréquens les suicides par misère parmi eux. Le petit commerce a été ruiné par les grands magasins. En outre, de petits commerçans, ne pouvant plus travailler pour cause de maladie, sont obligés de vendre leur fonds de commerce ; mais le prix qu’ils en retirent est souvent insuffisant pour les faire vivre, et alors ils sont acculés au suicide. Une maladie un peu longue suffit pour mettre dans la misère les petits employés : « Après les 18 mois de maladie et le décès de ma femme, écrit un employé de la Préfecture de la Seine, je me trouve